LDE carnet de route p.98 1918

  • 14 janvier 2015
19 juillet 1918. ━ En descendant vers le ravin, l’air se rafraîchit ; les oiseaux sont revenus et la route en lacets me conduit à la 2e Compagnie.

Les bois sont assez épargnés ; de-ci, de-là, quelques moignons secs et déchiquetés. Peu de cadavres allemands, mais un matériel considérable. Il y a eu beaucoup de prisonniers.
À mon arrivée, les sous-officiers flairant les nouvelles, m’entourent.
━ C’est pour la relève ? me crie Virton.
━ Oui, mais pour la relève montante.
Pas de déception chez mes camarades. On veut bien aller de l’avant car on sent que la fin de la guerre est proche. Finie la guerre de taupes, plus de tranchées, plus de barbelés, mais la guerre de mouvement, celle que nous rêvions sur les bancs des écoles après la leçon d’Histoire, face à l’adversaire en pleine lumière.
L’adjudant Vacher, qui tient le coup depuis le début, avec la retraite de Belgique, la Marne et toutes les batailles dans les jambes, communique son enthousiasme à la section :
━ Allez, les gars ! on va les avoir ! ...
Je suis revenu au village en courant ; sur ma gauche, des 88 percutaient sur le vieux château de Maucreux dont les murailles majestueuses se dressent sur le ravin de la Savières.
Le Bataillon quitte Faverolles et en colonnes par deux se dirige vers Ancienville.
La Savières est traversée sur un Pont que le Génie vient de construire. Sur la rive opposée les Compagnies s’installent sur le flanc d’une crête boisée. De grands arbres centenaires allongent leurs longs fûts en travers de la route. Des cadavres du 23 et d’allemands marquent les points de la résistance.
À 11 heures, le Bataillon reprend son mouvement en avant. Nous montons une crête par une route et, dans le ravin qui borde notre gauche des 77 attelées ont été abandonnés. En haut, nous découvrons un plateau d’où débouche une longue file de prisonniers. Ici les balles passent en miaulant, la fusillade est vive à quelques centaines de mètres devant nous.
Le Bataillon s’est égrené en s’étirant vers le village d’Ancienville qui est sur notre droite. À perte de vue une étendue de blés dorés s’étale comme un tapis. Grande animation dans le village où les prisonniers sont massés par centaines. Au milieu, le colonel du 23 les interroge. Les allemands sont en très bon état physique.
La chaleur est écrasante. Couchés sur le talus de la route, armes braquées vers le plateau, les sections attendent l’ordre de progresser. Je regroupe mes hommes et casse la croûte ; nous aurons un rude effort à fournir. Deux heures de l’après-midi, pas un souffle d’air, l’atmosphère est étouffante et la luminosité crue pèse sur mes paupières. Devant nous la nappe dorée des blés mûrs va absorber lentement le Bataillon. Nous avançons au pas, en lignes d’escouades à 20 mètres. Tous les 30 mètres, arrêt en position couchée. Des balles passent hautes. L’avance se poursuit toute l’après-midi à cette allure. Sous le casque brûlant ma tête bourdonne et s’alourdit. À chaque arrêt nous recherchons l’ombre des épis secs, nous avançons toujours dans des blés, pris entre la fournaise qui tombe du ciel et celle qui monte du sol.
Devant nous la mitraille crépite sans arrêt , le Bataillon de tête doit être au contact avec un adversaire tenace.
Enfin ! plus de blés ! Des herbes sèches. Une haie avec des cadavres d’allemands près de leurs pièces. Ici le Bataillon de tête a été stoppé toute l’après-midi par quelques mitrailleurs bien décidés. Ils sont morts sur leurs armes.
De nombreux cadavres de français jalonnent maintenant l’avance du Bataillon de tête ; ils sont déjà noirs. Le plateau s’étale à nu. Notre progression s’accélère à mesure que nous approchons de la ligne de combat.
Le 2e Bataillon, qui est devant nous à quelques 200 mètres, a déjà dépassé le 23 qui combat depuis hier. La relève s’effectue ainsi en plein combat, l’unité relevée restant immobile, couchée sur le sol.
En petites colonnes, notre Bataillon rentre lentement en action. Les balles sifflent rapides. Cadavres allemands. Un blessé allongé fait un signe, il lève une jambe sanglante et demande à boire. Voici la fin du plateau. Une ferme calcinée.

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