LDE carnet de route p.102 1918
21 juillet. ━ La grotte s’anime avec l’apparition des premières lueurs.
Des coureurs sortent et partent dans toutes les directions, les hommes s’équipent nerveusement et Anthoine fait claquer la culasse de son fusil.Retour ligne manuel
━ Alors, cabot ! ! On est bon pour y aller ?
━ On va y aller, vieux, mais c’est tout de même plus agréable qu’à Locre.
━ Si on crève le front, on rentre chez les beujingues avant la fin de l’été et Manging y gagne un galon de plus, ajoute Lamour avec son accent inimitable du Midi.
À travers les jardins, nous rejoignons les sections déjà déployées pour l’attaque. C’est derrière un talus que la suite de Mansard est déployée : coureurs, brancardiers, section de réserve.
Allons-nous mieux réussir que nos camarades du 2e Bataillon ? Où allons-nous rejoindre les morts qui gisent devant nous, dans la prairie montante ?
Notre artillerie vient de déclencher un feu assez violent, mais nous convenons tous qu’il est insuffisant. Les 75 passent avec rage, rasant nos têtes qui s’inclinent comme pour les saluer. Ils s’abattent dans un petit vallon en bordure de la lisière des jardins du village. Plus loin, un plateau peu élevé où le boche, le doigt sur la gâchette, va surveiller notre sortie.
Subitement, les Compagnies se sont levées et partent à l’assaut. À travers les jardins, les hommes enjambent haies, balustrades, barrières, et par petites colonnes pénètrent dans le vallon. Quelques obus éclatent çà et là mais sans méchanceté. Le Bataillon s’est déployé en tirailleurs et mes coureurs espacés de 5 mètres forment un éventail autour du lieutenant. La progression s’effectue sans un seul coup de feu, mais là-haut ? Ces boqueteaux que nos yeux fixent que cachent-ils ? Les gerbes de nos obus forment devant nous une ligne de flocons noirs.
━ Je crois que les Fritz ont mis les bouts, s’écrie Anthoine.
━ T’as des visions ! t’ends un peu ! tu vas voir là-haut comment va finir la ballade. Le Fritz y n’est pas cinglé, il a pris un bon champ de tir pour nous attendre, lui répond son voisin.
Sur le plateau que nous allons atteindre les balles sifflent. Cependant le boche semble encore loin et l’avance s’effectue sans casse.
La ligne d’assaut est admirablement déployée et une impression de force se dégage de cette unité aguerrie qui avance sous le feu de l’ennemi.
Un boqueteau vient d’apparaître et le tir de l’ennemi devient plus précis et meurtrier, des hommes se couchent dans l’immobilité. Encore quelques mètres et la première vague vient de se coucher devant nous. Les balles claquent furieusement, des corps culbutent. Je signale au lieutenant un talus à droite. Cassés en deux, filons vers ce havre. Étendus, nous sommes ici bien abrités.
Couché sur le dos, Mansard déplie sa carte et cherche à comprendre sa position. Vacher lui montre du doigt l’emplacement des mitrailleuses ennemies ; elles sont devant nous vers la gauche. Si nous voulons avancer il faut les déloger, car il est impossible de lever la tête.
À la tête d’une patrouille Vacher est parti. Il s’est glissé par le ravin de droite et va essayer de tourner le centre de résistance. En attendant les hommes sortent les pipes et jasent entre eux. L’arrivée du major Olivier et de ses brancardiers est un intermède comique. Voir les copains, ramper, s’essouffler, sauter, grimacer sous des balles étant soi-même bien à l’abri est une scène qui nous amuse. C’est féroce, mais comme on y passe à tour de rôle on peut bien en rire.
L’homme Porte-pigeons, le Colombophile arrive ensuite avec sa cage à oiseaux sur le dos. Il remporte lui aussi un franc succès.
C’est au tour du commandant Alaret, adjoint au colonel qui vient aider le lieutenant Mansart de ses conseils.
Sans répit les balles balaient le faite de notre talus en claquant comme si elles explosaient. Nous appréhendons le moment de la sortie, si Vacher ne réussit pas. Dans un trou, le commandant Alaret, le lieutenant Mansart et le lieutenant Muller, de la 1re Compagnie, échangent leurs impressions. Cette situation ne peut durer.
Spontanément la fusillade vient de cesser.
━ En avant !
Comme soulevé par le même ressort, toute la ligne s’est dressée et la progression reprend, cela grâce à Vacher.