LDE carnet de route p.60 1918
Mardi 1er janvier 1918. ━ On s’habitue au froid.
Je descends au village de Bures. Dans la cave d’une maison un chat sauvage se ramasse en boule, prêt à bondir. Ses yeux lumineux me fixent férocement. Je l’abats d’un coup de feu.
A midi soupe chaude.
Dans la nuit, garde au P.P. central. Le petit poste, une baraque de planches à la lisière d’un bois. C’est la guerre de 1870. Deux hommes se reposent à l’intérieur près d’un feu de bois, deux autres veillent dehors, debout, face à la plaine.
Dandou est chef de poste. On se relève toutes les 4 heures. Le froid est si vif qu’on ne peut rester immobile. On chausse d’énormes bottes de toiles caoutchoutées, à semelles de bois. Elles sont si lourdes qu’elles nous rivent au sol et rendent impossible un déplacement rapide. Sans elles, l’immobilité dans la neige durant 4 heures serait impossible.
La tête est emmaillotée dans un cache-nez de laine, le casque recouvrant le tout.
Il neige peu, mais la plaine est sinistre. Le ciel est gris et du sol s’élève une clarté diffuse. Pas un souffle d’air, mais l’atmosphère brûle la peau par sa température sèche et glaciale.
Le froid ne diminue en rien la vigilance. Secteur de patrouilles, de guet-apens, où l’ennemi use de microphones, qu’il place la nuit devant nos réseaux de barbelés.
Mercredi 2 janvier 1918. ━ Rafales d’obus.
De garde toute la nuit, devant l’abri. De temps à autre une fusée à parachute éclate et descend lentement, le paysage scintille sous la lueur magnésienne. Des oiseaux de nuit au vol argenté, fuient effarouchés.
Jeudi 3. ━ Le froid est de plus en plus vif.
Dans les postes des feux brûlent. Les petites fumées décèlent leur présence sans discrétion. Il en est de même chez l’ennemi. C’est notre consolation. Nous descendons à Bures faire du bois. Les poutres des maisons sont descendues et débitées c’est un excellent combustible et il est vain de le laisser perdre.
La nuit, garde au P. P. de l’aile droite ; c’est le plus isolé, le plus dangereux. Devant nous des marais gelés. Les patrouilles ennemies peuvent les traverser. Il y a quelques jours, ce même poste occupé par des Territoriaux a été enlevé par une forte patrouille boche.
Quelques coups de feu dans la nuit.
Vendredi 4 janvier. ━ La neige ne cesse de tomber et ça devient monotone.
On s’occupe à entretenir les tranchées et la propreté la plus complète est exigée. Les habitudes de la caserne reviennent au galop.
Dans l’après-midi, le soleil fait une timide apparition. Un moment un air rosé a teinté le tableau hivernal, puis le voile gris est retombé.
L’ennemi nous salue par une rafale de 77 mm. On se demande pourquoi.
Le Colonel Berthoin suivi du Commandant Halarey et du Lieutenant Donion est venu inspecter les lignes.
Nuit de garde au P. P. Bihan, celui du centre. À gauche la 12e escouade occupe un poste sous la responsabilité du caporal Cluzeaux. Je vais leur rendre visite. Toute l’escouade est plongée dans un sommeil profond. Je sais bien qu’il y a 50 mètres de barbelés devant eux, mais je trouve cette insouciance un peu forte. Ce sont tous des anciens.