LDE carnet de route p.73 1918
Jeudi 7 mars. ━ Travaux de défense.
L’ennemi cherche à atteindre avec du 105 mm la batterie de 75 mm qui est au bas de la côte.
En dehors des corvées sommes assez libres, aussi accompagné de Joutel et Bocquet, par un matin doux, je vais chercher de l’air et de la lumière. Nous nous dirigeons vers la sortie du bois qui donne sur la plaine de Bathelémont. Un soleil pâle dans un ciel légèrement bleuté efface les dernières flétrissures de l’hiver. La nature se réveille et les bourgeons s’épanouissent en petites feuilles d’un vert frais. La forêt est déjà belle et des oiseaux effarouchés s’échappent en sifflant. À la lisière du bois, nous découvrons la plaine et le village de Bathelémont. Soudain un sifflement aérien accourt, et la rafale de 105 mm s’émiette avec fracas autour de nous. Une volée d’éclats vient taper avec force contre les troncs d’arbres, suivie de craquements et de froissements dans les hautes branches. Retour précipité à l’abri où toute la Compagnie est rassemblée.
Travaux de défense jusqu’au 13 mars.
Ce secteur si calme est devenu fiévreux depuis l’affaire de Réchicourt-la-Petite.
Mercredi 13 mars. ━ Sous les ordres d’officiers et d’hommes du 7e Génie, la Compagnie travaille à la construction d’un observatoire d’armée en béton.
Peu à peu le pays se transforme en nids de résistance.
Jeudi 14 mars. ━ Mêmes travaux.
Toute la journée, je pousse des brouettes de gravier, le Génie préparant le béton. Le travaille avance rapidement. Une corvée est fauchée par une rafale de 77 mm. Un sergent tué et 4 hommes blessés.
Jusqu’au 19 même chantier.
Mardi 19 mars. ━ Nos aviateurs descendent deux aéros boches. Bravo !
Dans la nuit la Compagnie relève la 3e aux Jumelles. Il n’y a rien de changé dans ce secteur, l’artillerie est par contre beaucoup plus active.
Mercredi 20. ━ La section est de corvée.
Nous aménageons le boyau qui descend vers Arracourt. Pelles et pioches se lèvent sans arrêt. J’arrive à être expert dans l’art de creuser et de balancer la terre avec le minimum d’efforts. Même dextérité pour planter des piquets droits et solides comme de dérouler du barbelé sans s’écorcher les doigts. Le fantassin est l’homme de tous les métiers : il se bat, il marche, il trime, il creuse, il soulève, et il crève. Je n’ai pas évidemment la manière des solides paysans qui m’entourent, mais peu à peu le métier rentre.
Jeudi 21. ━ L’ennemi marmite sérieusement la route d’ Arracourt et notre Jumelle reçoit des rafales de 105 et de 77.
Le séjour est devenu moins agréable. Plus de promenades nocturnes aux P.P. Le P.P. II ou ancien P.P. Bihan est particulièrement visé. On veille dans la tranchée et non plus sur le parapet.
Gros émoi à la Compagnie. La cave des vivres de réserve a été fracturée et cambriolée. Le chocolat et surtout la gnôle ont été visés. Enquêtes, fouilles, etc... On n’a pas trouvé les coupables.
Vendredi 22. ━ L’ennemi arrose notre position d’obus de 105 et de 77.
Ceci n’augure rien de bon. Les sorties du tunnel deviennent, périlleuses. On redouble de vigilance, surtout pendant les nuits ; on renforce la solidité des boyaux.
Samedi 23. ━ Les deux sorties du tunnel sont particulièrement visées par l’artillerie ennemie.
À chaque instant les téléphonistes sont alertés pour la réparation des fils coupés. Une pièce d’un calibre inconnu tire sans arrêt sur la sortie sud. On pense qu’il s’agit d’un canon russe. L’obus arrive très lentement et chute dans une explosion étouffée, sans grands dégâts. De jour et de nuit, pelles et pioches creusent et soulèvent la terre. Mes mains calleuses sont dures comme de la pierre.
On signale de nombreuses réserves sur nos arrières. Allons-nous vers une grande offensive ?