LDE carnet de route p.75 1917
Dimanche 31 mars. ━ Jour de Pâques.
Repos complet. Messe au village. Civils et militaires remplissent la petite nef où les chants religieux s’élèvent sous les voûtes.
Nous avons passé la journée dans nos baraques Adrian, à jouer aux cartes, à discuter sur l’offensive Allemande, dans une atmosphère de tabac et de paille mouillée.
Lundi 1er avril. ━ Repos toute la journée, par contre la Compagnie est de corvée de nuit à la Patte d’Oie.
Sous une pluie torrentielle à travers des terrains boueux, armés de pelles et de pioches nous nous rendons au chantier nocturne. Égrenés sur une ligne droite nous creusons un boyau qui se transforme rapidement en un ruisseau boueux. À mesure que nous creusons la boue liquide monte, et chaque coup de pioche soulève des gerbes d’eau. Nous sommes dans l’élément liquide par les pieds, par le corps et par la tête qui reçoit les cataractes du ciel, et par les poumons saturés d’air humide. Il a fallu quatre heures pour atteindre la profondeur voulue et la boue arrivait aux genoux.
Mardi 2 avril. ━ Repos et inspection des vivres de réserve.
Il est interdit sous peine de sanctions de toucher à ces vivres rangés dans nos sacs. La théorie prévoit 30 jours de prison mais comme nous sommes en première ligne, il n’est pas question de nous en sortir pour purger cette peine à l’arrière, aussi on se contente de nous les remplacer avec un bon coup de gueule du Lieutenant.
On nous distribue de nouveaux masques. C’est une copie du masque Boche - le museau de porc qui nous portait tant à rire. Chaque section passe dans la chambre à gaz pour l’épreuve. De la porte, un major, à l’aide d’un pistolet lance dans la pièce les ampoules de poison. Ce masque est un gros progrès sur le tampon étouffant que nous avions.
Jeudi 4 avril. ━ On nous apprend qu’une Division du 7e Corps est partie pour la Somme.
Nous restons pour garder le secteur.
Samedi 6. ━ Départ le soir pour relever le 42e R. I.
Par Valhey et la Patte d’Oie nous avons rejoint le fortin Foch.
Nous sommes arrivés sur une crête boisée dominant le village d’ Arracourt. La Compagnie occupe de nombreux abris bétonnés entourés de baraques confortables : réfectoires, infirmerie, cuisines, dépôt et cantine.
C’est un des nombreux centres de résistance qui s’échelonnent sur toutes les crêtes de cette région.
Ici c’est le centre du bois de Bénanont.
Dimanche 7 avril. ━ Y a-t-il des volontaires pour conduire des ânes ? demande Vacher en entrant dans l’abri.
━ De quoi s’ agit-il ?
━ Ben, faut assurer matin et soir le ravitaillement de la Compagnie avec des bourricots d’ Algérie. Les cuisines sont au fortin Nicolas II et il faut en ramener la soupe.
━ D’accord, je, marche.
━ Et moi itou, ajoute Joutel et ensuite Gorgue. Conduire des ânes n’est pas déplaisant. Cela me changera du métier de terrassier. Dans un abri solide, à 500 mètres de la Compagnie, les 3 âniers s’installent confortablement. Nous sommes seuls, sans gradés, près du pare à bourricots. Nous avons dix pensionnaires, ce sont ces petits ânes qui trottinent avec leurs pattes grêles et raides sur les bleds algériens, le jour des marchés.
Nous devons assurer leur entretien et leur nourriture.
Dans les secteurs agités les territoriaux les conduisent pour le ravitaillement en vivres et en munitions des premières lignes.
À 11 heures du matin, le parc s’anime ; nous chargeons percots, sacs, bidons sur les 10 bourricots. Gorgue conduira la première corvée. Il enfourche l’âne de tête, pieds traînant, et toute la petite bande suit gentiment comme pour le marché. Derrière la lisière du bois la petite troupe a disparu.
Le soleil est très haut et chaud. Au delà de la zone d’ombre la plaine de Bathelémont s’étend avec ses hautes herbes aux coloris variés. Gorgue sera de retour avant 1 heure et avec Joutel je rejoins l’abri. Le P. C. de Nicolas est à 1.200 mètres. Une heure passe et pas de Gorgue. Quelque peu inquiets nous sortons, car là-bas du côté de Nicolas des rafales de 77 s’émiettent en nuages légers sur la piste qui longe la lisière du bois.
━ J’ crois que la corvée se fait sonner, me crie Joutel en courant vers la lisière.
Nous distinguons bientôt trois points immobiles au milieu des flocons de poudre.
Nous arrivons au pas de course sur le lieu du drame, et trouvons trois ânes blessés, debout et figés par la douleur et la peur. À Nicolas, le reste de la troupe s’est replié et Gorgue est au Poste de Secours blessé à la cuisse.
━ Allez ! hue ! hue ! À coups de triques nous ramenons la caravane, mais les bêtes intelligentes refusent d’avancer à l’approche de la zone dangereuse. Nous avons dû faire un long crochet pour les ramener à Foch. Nous sommes ensuite revenus sur la piste pour ramener les trois bêtes blessées, nous avons pu les arracher à l’immobilité en brisant la raideur des pattes par une marche forcée.
━ Pour un filon c’est un truc à la c.... me confie Joutel.