LDE carnet de route p.78 1917
Mercredi 17 avril. ━ Premières chaleurs du printemps.
Des faisceaux de lumière chaude touchent le sol cendré du petit bois. Sous leur ombre les soldats sommeillent, mais bien vite il faut rejoindre l’abri. Des 105 mm tombent au petit bonheur.
Nuit entière au P. P. avec Joutel. Cette garde nocturne est devenue agréable ; on goûte la fraîcheur et le silence. Une reconnaissance est sortie pour reconnaître la ferme de Riouville.
Jeudi 18 avril. ━ Sur notre droite, le réduit de la " Mitraillette ", position de défense, est fortement bombardé par l’ennemi.
Les corvées de soupe nous ont annoncé que la 41e D. I. allait être relevée du secteur. On doit avoir besoin de toutes les disponibilités vers l’ouest où la bataille fait rage. L’offensive allemande est pratiquement enrayée, les renforts français sont entrés en ligne.
Vendredi 19 avril. ━ Le secteur est arrosé par du 77 où les obus tombent nombreux mais isolés : sifflements prolongés ou courts, explosions suivies de craquements d’arbres blessés, vols de frelons, mottes soulevées.
Avec le soir le silence retombe et lorsqu’à l’horizon la flamme solaire s’évanouit dans une ceinture d’émeraude, je rejoins avec Joutel mon poste de garde. On nous a prévenu au départ qu’une de nos reconnaissances était sortie. Un lieutenant et 20 hommes vont se poser en embuscade vers la ferme de Riouville.
Vers une heure du matin des cris percent le silence de la nuit ; ils viennent de la plaine. Dans le tumulte on distingue nettement les commandements du lieutenant Artanse.
━ Tous à la route ! feu ! feu !
Des commandements allemands suivent et les coups de feu claquent précipités :
━ Joutel, je crois que les nôtres se font accrocher, il faudrait alerter la Sapinière.
━ Attends un peu, ça va se calmer, répond mon camarade impassible.
Pendant quelques instants les coups de fusil claquent sans relâche, les appels se suivent dans les deux camps, puis le silence est revenu.
Nous avons eu des détails à notre retour à la Sapinière.
La reconnaissance s’est trouvée nez à nez avec une forte patrouille ennemie. Les deux adversaires surpris ont cru tomber dans une embuscade. Il y a eu repli simultané pour engager ensuite le combat au fusil. Tous les nôtres sont bien rentrés. Le lieutenant Artanse commandait la reconnaissance ; au front depuis le début, c’est un officier remarquable par son sang-froid et son courage. Il a maintenu ses hommes sur la ligne de repli, d’Arracourt à Réchicourt-la-Petite.
Samedi 20 avril. ━ Un obus de 105 est tombé à l’entrée de la sape et a blessé deux hommes.
La relève est pour demain. C’est le 106e R. I. du 6e Corps qui viendra nous remplacer.
Dimanche 21 avril. ━ Nombreuses rafales de 77 et de 105 sur les pistes.
À minuit le 106e R. I. nous relève. Nous disons adieu au secteur. Pendant que les sections s’allongent sur les pistes glissantes qui grimpent le mamelon boisé, j’évoque les heures passées sur ce front de Lorraine : les veilles si longue dans le village de Bures enneigé, l’assaut du 20 février, le séjour tranquille aux Jumelles et les camarades que nous laissons comme jalons de notre chemin de croix.
Lundi 22 avril. ━ Il a plu et toute la nuit nous avons parcouru bois et coteaux sur des pistes gluantes à travers du feuillu ruisselant d’eau.
Le jour nous a surpris près de Dombasle-sur-Meurthe sur une route bosselée et inondée. Épousant le canal et ses bordures de roseaux, la longue colonne fend la muraille de pluie qui se dresse épaisse devant nous. Voici qu’apparaît Saint-Nicolas-de-Port d’où s’élèvent les deux tours de l’église coiffées de casques d’ardoise. Il y a un an j’y passais 8 jours dans un lit d’hôpital.
J’ai une pensée pour la Soeur, Soeur Bernard, qui soignait avec tant de dévouement les malades du terrible hiver.
Cantonnons à Varangéville sur la Meurthe.