LDE carnet de route p.122 1918
29 août 1918. ━ Le 23e et le 42e sont déjà engagés dans la bataille.
Notre tour approche. On raconte que les combats sont violents, que l’ennemi solidement fortifié dans les grottes ne cède le terrain que pied à pied. C’est une Division de Cuirassiers blancs de la Garde qui barre la route à l’offensive.
Étendu sur l’herbe à quelques mètres de l’entrée de la carrière qui abrite la section, je cherche à oublier.
Oui, oublier. Oublier, afin de profiter de la vie, de ce répit qu’on nous laisse et qui permet à mon esprit angoissé de se détendre encore, peut-être pour la dernière fois.
J’ai cinq hommes à mon escouade, à part Rogerie, le seul ancien, ce sont tous des nouveaux qui n’ont jamais combattu. Que valent-ils ? Que feront-ils demain dans cette boucherie qui les attend ? Les malheureux !
Nous, les anciens, nous allons " remettre ça ". Cheminer de nuit et de jour dans des ravins lugubres qui sentent la poudre et la mort, traîner nos pauvres carcasses sur des plateaux où tomberont comme épis mûrs des hommes de 20 ans. Courir à l’attaque baïonnettes hautes, et face contre terre, gémir, pour rester figés dans le noir de la mort.
Oui, cette fois-ci j’en ai marre. Marre de voir mourir, marre de souffrir, marre de ne pas crever. Et pourtant, j’en suis certain, je ferai encore mon devoir, mais Dieu ! que c’est dur !
Désalbres ! viens par ici !
L’adjudant de Bataillon Caillouet, assis contre un arbre, vient de recevoir le courrier, il tient un papier à la main.
━ Tiens ! veinard ! lis !
« Le caporal Désalbres, numéro matricule 10.477 de la 2e Compagnie, devra rejoindre ce soir l’École Militaire de Saint-Cyr pour y suivre les cours d’élève aspirant. Il emportera son équipement militaire au complet. »
J’ai relu deux fois le papier. J’ai bien compris. Je pars ce soir pour 6 mois. Autrement dit, la guerre est finie pour moi.
Mais c’est incroyable ! Et c’est de suite que je dois partir ! Oui, de suite ! C’est à en perdre la tête ! Dans la carrière où la section est groupée, je crie, je hurle la nouvelle. Ma joie, ma chance insolente produisent des remous divers. Je serre des mains. Vacher me félicite. Meyer me traite de « planqué ».
Le sous-lieutenant D... me jette un regard amer. Des mains se tendent affectueuses. Mes camarades.
Chez eux, chez les anciens, une véritable peine.
Au revoir à tous ! Au revoir, mon vieux Régiment ! Au jour de la victoire !
Sur la route blanche, trois caporaux marchent allègrement. Ils vont prendre le train à Crépy-en-Valois. Ce sont trois bacheliers, de la même classe, trois jeunes Français nourris de la doctrine Maurrassienne. Ils vont vers la même destination : l’École de Saint-Cyr.
Ce sont :
━ Henri LAVALADE, caporal au 3e Bataillon du 128e R. I. ;
━ Henri LAGARDE, caporal au 2e Bataillon du 128e R. I. ;
━ Louis DÉSALBRES, caporal au 1er Bataillon du 128e R. I.
Pour eux, pour ces trois poilus, la guerre était finie.
Dépôt légal N0. 3
4 e trimestre 1958.
DAX, IMPRIMERIE DUMOLIA