LDE carnet de route p.62 1918
Lundi 7. ━ Repos toute la journée et je reste couché dans mon lit de treillis, enroulé dans les couvertures, pieds déchaussés.
Malgré le poêle qui rougit à blanc, le gourbi conserve plusieurs degrés au-dessous de zéro. Au-dessus de moi, mon voisin se gratte furieusement toute la journée. Il se gratte en grognant d’énervement, les totos eux aussi doivent avoir froid.
À la nuit, garde au P.P. Bihan. Nuit impénétrable. Mon tour de garde arrive à 2 h. du matin. Tout est calme, de loin en loin un coup de canon. Cette fois-ci j’entends un bruit très net dans les barbelés, quelqu’un semble empêtré dans les fils et cherche à se dégager. Je repère bien la direction car le grincement du fer ne cesse pas. Je tire. Au coup de feu, le poste entier arrive et tire. Nous jetons des grenades OF et pendant quelques secondes les flammes rouges zèbrent les ténèbres.
Puis c’est de nouveau le silence - plus le moindre bruit. Au jour nous discernons le cadavre d’un énorme sanglier pris dans le premier réseau de barbelés.
À Verdun un pareil incident aurait déclenché une tornade de fer.
Mardi 8 janvier. ━ Ce soir, le 23e R. I. nous relèvera.
Journée calme occupée aux préparatifs de départ. Couvertures et toiles de tente sont ficelées sur le sac. Il neige toujours.
À 9 h. du soir la relève arrive et partons vers l’arrière à travers de vastes plaines blanches qui craquent sous les souliers lourds. Le village abandonné de Bauzemont est traversé et cantonnons à Valhey pour 9 jours.
Mercredi 9. ━ La Compagnie est installée dans des baraques sur la route de Valhey à Einville-au-Jard.
Pour lutter contre le froid on reste couché, mais dans l’immobilité les totos nous dévorent. Le lieutenant Barcelot est revenu de son stage et reprend le commandement de la section.
Jeudi 10. ━ Armés de pioches et de pelles travaillons sous les ordres d’un officier du Génie à organiser la défense du village.
On creuse des sapes et des tranchées. Dispute professionnelle entre Barcelot et l’ officier du Génie. Les deux officiers échangent leurs points de vue avec sécheresse. Barcelot est élève de l’ École des Mines et il n’entend pas recevoir de leçons même de la part d’un officier du Génie.
Jusqu’au 17 janvier nous creusons dans la neige et dans la boue. Le poilu des tranchées est bon à tout faire. Si la mort ne veut pas de lui, il doit de toute manière en « baver » pour que sa carcasse ne connaisse pas de repos.
Jeudi 17. ━ Départ à ’7 heures du matin.
Nous allons au secteur des Jumelles d’ Arracourt. Il s’agit de deux gros mamelons situés à l’ouest de ce village.
Ces deux bosses sont fortifiées et chacune d’ elle est traversée par un tunnel de 100 mètres, solidement étayé, éclairé électriquement par un groupe électrogène.
L’ entrée de chaque tunnel donne vers nos arrières et la sortie vers l’ ennemi. Ces deux positions séparées par une légère dépression sont à 200 mètres l’ une de l’ autre. Une tranchée profonde ceinture le tout.
La Compagnie entière occupe toute la position. Les 1re et 2e sections sont dans la Jumelle est, celle qui domine le village d’ Arracourt et les 3e et 4e sections sont dans l’ autre tunnel.
Nous avons relevé une Compagnie du 42e R. I. Nous occupons des chambres éclairées qui donnent sur le couloir souterrain. Sous les voûtes basses, fortement charpentées et ruisselantes d’eau, c’ est un grouillement confus d’hommes qui entrent et qui sortent ; l’ atmosphère y est lourde et saturée de toutes espèces de relents. Odeur d’hommes mouillés, de moisis et d’urine.