LDE carnet de route p.77 1918
Vendredi 12. avril ━ Nos 75 mm asticotent sérieusement l’ennemi.
On raconte qu’un coup de main serait en préparation. Toute la journée travaillons avec le Génie à faire une sape et le soir toute l’escouade rejoint la cabane comme des collégiens en vacances.
On ferme les issues, Thévenin prépare le chocolat, les autres attaquent la manille. Dehors tout est calme, la nuit est belle et douce.
Sur la table les poings s’abattent avec force, tandis que les pipes crachent les cercles de fumée. C’est vraiment une grande joie et le chocolat fume et sent bon.
━ Et coeur ! dit Rogerie.
━ Et je coupe !
━ Et je surcoupe
Et pan ! sur la table qui sursaute, quand soudain dans un souffle noir la lumière s’éteint, la baraque vacille et s’écroule dans un fracas d’explosions. Par une lézarde béante je plonge dans la nuit où flotte une odeur âcre de brûlé. Dans la tranchée où nous nous retrouvons tous, une franche gaieté a succédé à quelques secondes d’ émotion et de paniques.
Samedi 13. avril ━ Duel d’artillerie.
Travaux avec le Génie. Cette nuit la Section Franche doit sortir. Plus de réveillons au cabanon, celui-ci est à terre, effondré, en pièces de bois déchiquetées.
Dimanche 14. avril ━ Hier soir la Section Franche est sortie sur notre droite.
L’action s’est limitée à la destruction de deux plaques de microphone placées près de nos lignes.
Cette nuit de nouvelles batteries de 75 arrivent. On raconte que le 42e R. I. doit faire un coup de main. Toute la nuit les 75 harcèlent l’ennemi.
Lundi 15. avril ━ Notre artillerie a cessé le feu ce matin spontanément.
Le coup de main est ajourné. Une de nos patrouilles a capturé deux boches du 71e Landwer Bavarois (nos amis de Réchicourt-la-Petite).
Par une nuit très noire la Compagnie a quitté Castelnau ; à travers bois et après descente dans la plaine elle s’est installée dans un petit bois de sapins. Nous avons relevé un peloton de la 3e Compagnie à la défense de la Sapinière, première ligne située entre Arracourt et Bures.
Pendant le déplacement nocturne, j’ai manqué un ponceau qui franchissait une tranchée profonde. Entraîné par le poids du chargement, j’ai culbuté dans le vide tête la première, mes épaules se sont coincées entre les deux parois. Mes camarades m’ont retiré de cette fâcheuse position, non sans peine, et je ne me suis rien cassé.
Mardi 16. avril ━ Un vaste gourbi occupe le centre de la Sapinière, petit bois de sapins moyens et très denses.
Ce bois est long de 50 mètres et à peine large de 15 mètres. C’est un excellent nid de mitrailleuses. Un veilleur est placé en permanence à l’entrée de la sape.
À travers les fûts violacés des arbres on distingue les lignes de barbelés et les 2 km. de plaine qui nous séparent de l’ennemi.
Avec Joutel, je passe toute la nuit à un petit poste, sur l’angle nord-ouest de la sapinière. Devant nous, s’étale la plaine de Bures, des Jumelles et d’Arracourt. Le ciel est d’une pureté de cristal et l’air est doux. Temps idéal pour patrouilles et embuscades. Cependant avant le lever du jour, une fraîcheur humide se lève du sol et gagne nos jambes. Il nous faut battre les semelles.
Au petit jour, quelques coups de feu sur la gauche, vers Arracourt dont on aperçoit les premières maisons. Nous rejoignons la Sapinière en nous glissant à travers des taillis où pullulent gibiers et oiseaux. Nous y dormons toute la journée.