LDE carnet de route p.95 1918
16 juillet 1918. ━ De très bonne heure une colonne de camions est venue nous enlever et nous déposer, à 10 heures, à Colloye, en pleine campagne.
On a formé les faisceaux, puis les Compagnies s’ébranlent les unes après les autres. Le capitaine Cléry, qui commande le Bataillon en remplacement du commandant Bréville en permission, me fait appeler :
━ Voici, mon petit. Nous allons partir et tu resteras ici pour attendre un camion qui est tombé en panne. Lorsqu’il arrivera tu conduiras les hommes de ce camion en ce point-là sur la carte.
Le capitaine m’a laissé la carte, c’est un lieu situé dans la forêt de Villers-Cotterêts qui est à quelques kilomètres d’ici. Nous sommes donc sur le flanc de la poche que l’ennemi a creusé et dont la pointe se trouve à Château-Thierry.
J’attends une bonne demi-heure, allongé contre le fossé de la route. Quelques paysans passent avec leur attelage de chevaux ; j’apprends par eux que depuis la fin de l’offensive le secteur est devenu calme.
Voici mon camion et en route pour la forêt : un village, une voie ferrée, la route longe le bois d’où s’échappe le piaillement des oiseaux. Je m’engage dans un layon :
━ Nous fais pas nager, hé ! vieux ! on en a plein les pinces !
Je rassure le poilu, car je suis certain de mon itinéraire. Je stoppe à un carrefour, en pleine forêt. Personne. Après quelques minutes j’ai la satisfaction de voir arriver une colonne d’infanterie. Nous sommes arrivés avant le Bataillon.
Les escouades ont monté leurs tentes et les roulantes nous distribuent repas et boissons. Vacher arrive, il va nous tuyauter :
Voilà, les gars, on va participer à une grande offensive !
Ah ! merde ! encore ? s’écrie Beuzelin.
Ta gueule, et écoute, poursuit Vacher, on va attaquer sur 45 km. de front, il y aura les Américains avec nous.
━ Vivent les Américains ! hurle Beuzelin.
━ Il y aura des Américains et des tanks, continue Vacher.
━ Vivent les tanks ! reprend Beuzelin.
━ La D.I. sera de premier choc et les boches ne savent rien, termine Vacher, on partira ce soir.
Et à la nuit on a déplié les tentes pour les remonter à 4 km. plus loin. Nous sommes au coeur de la forêt, Ia nuit est lourde, chaude et lumineuse.
17 juillet 1918. ━ Repos. Calme complet, pas un bruit, pas un seul coup de canon.
Évidemment la perspective de l’attaque n’a pas éveillé de la gaieté. Cependant une franche camaraderie règne au sein de l’escouade.
━ On va foncer dans le brouillard, s’écrie Beuzelin, comme à Réchicourt-la-Petite, mais bien sur, cette fois-ci on va droit jusqu’à Berlin. Pas vrai, vieux pot ?
Et d’une bourrade à Joutel il ponctue son affirmation.
Et, il faut bien le reconnaître, il règne dans les rangs un certain vent d’optimisme, l’ennemi vient de subir un certain et cuisant échec en Champagne.
Le 23e R. I. et le 42e R. I. sont déjà montés en ligne et ce soir nous les rejoindrons.
Tenue : veste et sac. On nous distribue des munitions et les vivres de réserve sont complétées. Je prendrai le commandement de l’escouade de coureurs qui accompagne le commandant.
Départ à 10 heures du soir. La chaleur étouffante de la journée nous a préparé un violent orage qui a crevé pendant la relève.