LDE carnet de route p.97 1918

  • 13 janvier 2015

La place du village est déserte, mais près d’un mur, le colonel du 23, grand et sec, assisté d’un gros commandant, interroge un prisonnier. Des blessés paissent et le colonel les interroge ; le village d’Ancienville est pris et une Compagnie a pu progresser jusqu’aux lisières de Chouy. En ce point l’avance est stoppée, elle est de 4 km. Un matériel énorme a été ramassé, l’ennemi a été surpris et l’attaque a été mordante.
Il est 8 heures et le soleil déjà chaud lève le voile gris qui masquait l’horizon. On découvre une crête boisée d’où s’élèvent des champignons noirs. Au loin la fusillade crépite. Les trajectoires des obus passent plus haut, et, satisfait de ma mission, je rejoins mon Bataillon suivi du coureur.
Sur l’herbe les hommes cassent la croûte. Je fais comme eux...
3 heures de l’après-midi. Vision de 1914. Des cavaliers surgissent de la forêt et s’avancent vers nous. C’est un peloton du 10e Hussards. Cette arrivée inattendue nous comble de joie. Aurait-on crevé le front ?
Les cavaliers ont mis pied à terre et nous nous mêlons fraternellement à eux en groupes aimables. Je trouve un gars de la Gironde, c’est un cavalier de l’active et nous parlons « pays ».
Un obus vient de percuter à 30 mètres sur la crête où passe la route de Faverolles, et de suite après, un souffle brûlant en flamme sèche passe devant mes yeux. Paralysé quelques secondes je contemple avec effroi une face monstrueuse qui s’est dressée devant mes yeux. Dans un hurlement bestial, rauque, un flot de sang s’échappe d’un trou béant ; la mâchoire emportée, le malheureux Girondin gargarise son sang dans un cri prolongé, épouvantable. Jeté à terre par des chevaux emballés, piétiné par des sabots furieux, roulé, culbutant sur des corps, je suis parvenu à sortir de cette mêlée hallucinante.
Je n’ai rien eu et la fumée s’est dissipée, laissant sur la prairie des corps humains et des chevaux pattes dressées vers le ciel. Des brancardiers emportent les blessés et nous appuyons à gauche pour sortir de la ligne de tir.
Vers la lisière, des cavaliers poursuivent des bêtes affolées traînant des voiturettes de mitrailleuses.
━ Ça fait rien, bougonne Anthoine, ils ont besoin d’apprendre à faire la guerre, ces sacrés cavaliers.
Déboucher en plein jour face aux saucisses ! c’était bon en 14, de faire ces conneries là ! Toute la soirée j’ai entendu le cri monstrueux du gosier sanglant et cette terrifiante vision m’a serré les entrailles.
Le Bataillon s’est installé sur le haut du talus à la limite du village. J’ai placé mes hommes dans une petite carrière de gravier et je me suis étendu près de la route.
━ Oh ! vise-moi ça, s’écrie un poilu, là sur la route, c’est pas du bourre, on dirait de l’artillerie qui arrive.
En effet, au pas, comme aux manoeuvres, une colonne d’artillerie s’avance sur la route. Canons de 75 et 155 Rimailho passent dignement se dirigeant vers la Savières. Nous allons être, nous fantassins, placés derrière l’artillerie. Ce décalage de position n’est pas pour nous déplaire.
Un cheval isolé, traînant des traits brisés, s’approche de nous. C’est un blessé errant du 10e Hussards. La pauvre bête souffre de la cuisse arrière ; un éclat d’obus lui a sectionné un muscle et le sang trace un long ruban noir qui descend Jusqu’au sabot. La brave bête se laisse caresser et semble attendre de nous la guérison. Elle est partie en boitant, derrière la colonne d’artillerie et elle ira vraisemblablement mourir cette nuit dans un fossé.
Nous occupons le village et deux Compagnies descendent jusqu’au ravin de la Savières pour s’installer dans les anciennes positions allemandes. Là Compagnie de réserve reste avec nous dans le village.
Dans une cave voûtée, sur un canapé que j’ai partagé avec l’agent de liaison de la C. M. 1 j’ai passé une nuit délicieuse ; la première bonne nuit passée en ligne. C’est l’avantage de la guerre de mouvement.
À 4 heures du matin, je me rends sur ordre, au ravin de la Savières. Il faut aller de l’avant.

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