LDE carnet de route p.96 1918

  • 11 janvier 2015

Sous une pluie torrentielle, la longue file de fantassins monte vers les lignes par une nuit impénétrable. Sur des pistes glissantes, nous avançons à tâtons et chacun s’accroche au ceinturon de celui qui le précède. Nombreux à-coups dans l’avance et à chaque arrêt brusque C’est le nez qui s’écrase sur la gamelle, d’un sac. Ça grogne dur dans la file.
Marche pénible, alourdie par la pluie. La longue théorie silencieuse avance en titubant comme un troupeau ivre. Au P. C. de l’ I. D. la colonne est coupée par une file du 23e R. i. ; les unités se mélangent, des hommes du 23 suivent la file du 128 et vice-versa. Cris, appels, jurons, pagaïe. Finalement on se retrouve et la marche des automates se poursuit dans les ténèbres.
Dans quel état serons-nous pour l’attaque ?
━ Ça fait rien, s’écrie un homme, on fera l’attaque avec des troupes fraîches.
Je songe à ceux qui nous conduisent pour nous mener à pied-d’œuvre et j’avoue préférer être dans ma peau que dans la leur.
La première lueur du jour commence à naître et nous avançons toujours sous la pluie ; celle-ci ruisselle fine et serrée à travers le feuillage de la forêt avec un bruissement monotone qu’accompagne le giclement de la boue sous le poids de nos souliers. Cependant à mesure que monte le jour, la brume lentement s’efface. Quelques hommes égarés nous croisent isolément. Peu à peu la forêt s’éclaire, la voûte verdâtre et humide efface les dernières ombres grises et l’impossible espoir vient de naître ; chassés par la lumière, les gros nuages disparaissent vers l’horizon, et la lisière que nous venons d’atteindre baigne déjà dans une lumière rose. Le soleil. Oui, le soleil est présent. Il sera avec nous, il sera de la partie comme les Américains et les tanks que personne n’a encore vus.
Le Bataillon s’est égrené dans des trous individuels jalonnant la lisière de la forêt en réserve du 23e R. I. et 42e R. I., les deux régiments de premières vagues.
Sur nos côtés les deux autres Bataillons du Régiment. Il est 4 h. 15.
Calme absolu, l’ennemi confiant ne se doute de rien et la nature aussi est confiante ; elle est pleine de douceur et de lumière et les oiseaux saluent son triomphe.
Devant nous une prairie étend ses mosaïques de couleurs jusqu’aux premières maisons d’un village aux toitures effondrées. C’est Faverolles.
4 h. 35. Un coup de tonnerre terrifiant a déchiré l’air et le grand silence de la forêt. Une symphonie apocalyptique s’élève de sa profondeur. Les cimes des grands arbres frémissent sous le souffle sonore d’une artillerie mystérieuse. En cet instant des milliers de tubes d’acier reculent à la fois sur les affûts de nos canons. C’est un ouragan qui porte sa force dévastatrice, là-bas dans le ravin de la Savières, derrière le village.
En formation de lignes d’escouades à 20 pas une première vague sort de la lisière, s’élance et se disperse dans la prairie. Deuxième vague, c’est nous. Une rafale d’obus nous salue. Les saucisses ont vu la sortie. On accélère et nous voici derrière une petite colline près du village.
Il est 4 h. 45. Le ciel est lumineux, et bientôt le soleil va draper d’or les premières victimes du nouveau drame qui débute.
Journée favorable, l’attaque a dû réussir. Au loin, derrière des crêtes boisées, le bruit du combat d’infanterie s’éloigne. Des colonnes de prisonniers montent vers la forêt. Les premiers blessés qui passent nous apprennent que le 23 a traversé la Savières à gué, l’eau jusqu’à la ceinture, l’arme haute.
Pour le moment nous ne bougeons pas et j’ai groupé mes coureurs près du capitaine Cléry, Berthelage et Eman, de la 1re Compagnie, Anthoine et Descamp, de la 3e, Godbert, Lamour et Coupet, de la 2e.
Avec rage notre artillerie poursuit son massacre et l’ennemi réagit bien peu, seules les mitrailleuses crépitent furieusement.
Il est 6 heures. Sur l’ordre du capitaine Cléry, je me rends au village de Faverolles afin de m’informer auprès du colonel du 23e R. I. sur la position des Bataillons voisins. J’amène un homme avec moi. Sur la petite crête qui nous domine, les maisons détruites barrent la route. Derrière moi, je découvre le rideau de la forêt vivante et furieuse d’où s’échappent des nuées de projectiles qui vont en miaulements pressés s’abattre sur les coteaux boisés où l’ennemi se replie.

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