LDE carnet de route p.93 1918
Mercredi 14 juin. ━ Départ par route.
Après une marche de 7 km. le Bataillon occupe Bavinchove au pied du Mont Cassel. Cantonnement d’alerte, on craint une nouvelle offensive de l’ennemi. En cas d’attaque, le Régiment devra prendre ses positions défensives devant Sainte-Marie-Cappel sur la route de Bailleul. Le village est gorgé d’Anglais. Sur son pain de sucre, la vieille ville de Cassel domine une belle plaine sillonnée de magnifiques routes pavées. On y monte en tramway. La population y est sympathique et on y aime le soldat, ce qui n’est pas le cas pour toute la zone des armées.
En groupe, l’escouade déambule dans les rues aux pavés pointus et à caractère médiéval. Après les bistrots, les églises, après les églises, les librairies.
Les journées se passent dans le calme et la douceur de l’été naissant. À l’escouade, on discute ferme sur le drame de Locre et on est unanime à en rendre le lieutenant D. responsable.
━ Sans ce foireux, explique Beuzelin, la Compagnie s’en sortait sans un blessé. Les boches cognaient derrière nous.
Et c’est bien la vérité.
La peur chez certains est incontrôlable ; c’est un état morbide. Ces malades ne devraient pas être versés dans les unités de premières lignes où ils peuvent entraîner les pires catastrophes. Sous des bombardements soutenus, lorsque les nerfs sont mis à rudes épreuves, il suffit d’un paniquart pour entraîner l’effondrement d’une résistance.
On trouve de ces malheureux dans toutes les Compagnies. Rien ne les distingue des autres et souvent à l’arrière ce sont des êtres gais, exubérants ; sitôt l’ordre de monter ils changent de visage, le regard s’assombrit, le teint devient plombé, et la face triste et muette. Ce sont alors de pauvres loques qui suivent comme des bêtes alourdies la relève montante.
De temps à autre Jaffrézic vient nous voir. C’est un jeune breton de ma classe, magnifique soldat que nous regrettons tous à la section. À Locre, une nuit, sous la mitraille habituelle, il est sorti de son trou pour planter une petite croix près du cadavre d’un de ses camarades resté dans le champ de blé.
Geste simple, mais de quel prix en pareilles circonstances.
Le 25 juin, le Bataillon est décoré par le général d’armée de Mitry. Préparatifs pour le défilé.
Sur une grande prairie, trois Bataillons sont déployés : le nôtre, un bataillon du 23e R. I. et un bataillon du 42e R. I. Ceux de Locre.
Les drapeaux des 3 Régiments et les 3 cliques sont alignés.
Le général, grand et sec, passe au galop devant les troupes figées au port d’arme. Les musiques attaquent « La fille du Régiment » et massive, en colonnes de sections, la lourde infanterie passe devant le général et son état-major, le colonel Bablon, commandant l’ I. D., remplace le général Guignabaudet.
Défilé classique où les chefs de Compagnies précèdent à cheval les lignes parallèles et profondes de baïonnettes. Il a plu pendant tout le défilé et comme le général a remarqué en particulier la parfaite tenue de la 2e Compagnie du 128e R. I., le lieutenant Mansard nous accorde en rentrant un quart de pinard, et on est tous très contents.
Lundi 26 juin. ━ Le Bataillon se porte en réserve au sud du Mont des Cats, secteur de Bailleul.
Nous remplaçons le 160e R. I.
Le soir même le Bataillon monte en ligne en liaison avec les Anglais, mais je reste aux cuisines car je dois partir en permission le 28.