LDE carnet de route p.116 1918
Il est à peine 4 h. 30 du matin et en ce 1er Août 1918, les hommes du 1er Bataillon, masque à la figure, sont partis pour l’assaut.
Ils sont partis lourdement chargés en grimpant nerveusement la crête qui domine le ravin. Des flammes rouges, éclairs fulgurants, les environnent.
Des cris percent l’air, des corps culbutent et roulent. Des fusées s’élèvent dans les dernières ténèbres qui fuient comme terrifiées.
En avant ! en avant ! Mon visage moite gonfle et écrase sur un rythme accéléré le masque qui m’étouffe.
La crête que nous atteignons est balayée par les obus.
Pas gymnastique !
À perte de vue, la plaine. D’un coup de poing je fais sauter mon masque et l’air frais, piquant, aère le visage. L’allure est précipitée.
Le jour a chassé l’ombre et une lueur blanche découvre un tableau impressionnant. Le sol est parsemé de morts. Des hommes courent comme des fous vers un horizon lointain. À ma droite une section de la C.M. 1 avance en groupe. Je distingue Jaffrézic parmi eux. Un obus souffle toute la grappe. Des corps tournoient et cependant, sortant de la fumée, des hommes poursuivent la course fantastique.
La zone des obus est passée, on ralentit la progression qui s’effectue vers d’immenses champs de blé.
Pas traces d’ennemi.
━ Attention ! les mitrailleuses !
Hautes et hargneuses, les balles en nappes serrées passent sur nos têtes ; la plaine nous obsède.
Avec l’avance, les petits moulins infernaux se font plus pressants.
Là-bas, dans les blés, l’ennemi est devant nous.
Peu à peu la ligne d’assaut s’est disloquée, des morceaux disparaissent puis se redressent. Des corps immobiles, des blessés tordus tachent la plaine verte. Un à un les soldats de France tombent sur le sol de leur Patrie. Groupés autour du Capitaine Payen, nous faisons une pause derrière une pile d’obus.
À droite, des sauvages, têtes penchées, avancent toujours sous le vent d’acier, et devant nous la première vague a disparu, fondue dans les blés.
━ En avant !
Nous sommes dans la tempête. Les rafales poussées par d’autres rafales balaient la plaine dans un bruit d’essaims furieux. Par moment l’air vibre et siffle comme la vapeur d’une locomotive, tandis que des centaines de coups de fouets claquent à nos oreilles.
Par gestes, Payen nous a déployés. Cassé en deux, mon fusil en avant, j’avance dans les blés, aspiré par le vide. J’ai l’impression que la tempête m’oppresse. Sur nous c’est le crissement d’un nuage de cigales géantes, soutenu par des claquements de l’air.
En avant : le néant.
Un homme culbute et s’effondre, deux puis trois tombent en boule. Quelques malheureux blessés se relèvent et veulent fuir, ils tombent... L’instinct de conservation m’arrête devant l’abîme. L’ennemi invisible est là, tout près. Je fais un signe... à gauche une bosse de terre. Le Capitaine Payen et le Lieutenant Dermain nous rejoignent.
━ Vite ! creusez une tranchée !
Fébrilement les bêches se mettent à l’ouvrage et du sommet du tertre les deux officiers, jumelles en mains, cherchent à comprendre la situation.
À 50 m. devant nous une route borde un champ de blés. À la lisière de ce champ l’ennemi braque sur nous ses mitraillettes et leurs rafales abattent les blessés qui tentent de se replier.
Visibilité mauvaise. Derrière ce champ de blés, à 150 mètres environ un petit bois de sapins émerge de la fumée, il masque une sucrerie : un de nos objectifs. Plus à gauche, on distingue des maisons : le village de Cramaille.