LDE carnet de route p.82 1918

  • 7 janvier 2015
Mercredi 16 mai. ━ La canonnade a rugi toute la nuit.

Les avions sont passés à plusieurs reprises, lâchant leurs bombes dans les alentours. Nous avons cependant bien dormi sous la tôle ondulée des baraques anglaises.
À l’heure de la soupe, vers midi, des 130 en souffles sonores et impressionnants viennent s’écraser avec fracas dans notre camp. Aucun abri et aucune tranchée. Nous nous allongeons sur le sol et à, chaque salve, le coeur s’arrête, les muscles se contractent, le sang se fige. Un coup malheureux tombe près de nous sur un groupe de chasseurs à pied. Onze hommes sont tués. Spectacle horrible de chairs déchiquetées et de blessés pantelants.
La soir le Bataillon quitte le camp trop exposé et appuie de 2 km. vers le sud. La Compagnie s’installe dans une ferme. Dans la cour une pièce de Marine tire sans arrêt et l’ennemi cherche à la contre-battre.
Tout ce secteur est en feu et il est vain de chercher un coin tranquille.
La nuit s’annonce et le crépuscule allonge les dernières lueurs du jour. La pièce tire toutes les 10 minutes ; de son long tube d’acier le projectile s’élance dans une langue de flamme rouge accompagnée d’un coup de tonnerre abrutissant. Fumant une pipe, adossé au mur de la ferme j’observe le travail des artilleurs de la marine. Le canon vient de rugir une nouvelle fois et voici qu’un sifflement monstrueux fonce sur nous. À 20 mètres un 130 mm s’est écrasé soufflant l’air avec rage et une aile de la ferme s’abat dans un nuage de poussière. Pas de tués, ni blessés. Nous rejoignons notre grange passablement inquiets pour cette nuit. Les hommes se sont endormis, engourdis et las. Dehors la pièce de marine pousse toutes les 10 minutes son terrible coup de gueule et à chaque fois la grange s’illumine de rouge, tandis que la charpente craque sur nos têtes.
En pleine nuit, la grange est envahie par une Compagnie du Génie qui rentre sans ménagement. Des cris, des injures s’élèvent de la paille où nous sommes enfouis. Les intrus ont allumé des bougies et c’est un beau tumulte. Sous la tempête ils ont, éteint leurs lumières et se sont casés en silence vers le fond de la grange.

Jeudi 17 mai. ━ Toute la journée les canons lourds de l’arrière sonorisent l’air.

Sur nos têtes, obliques et puissants, les obus ahanent à la file ; il en tombe derrière la ferme, et plus loin dans les prés. Un groupe d’hommes s’est blotti derrière un grand mur, le seul abri du coin, et nous sentons l’angoisse nous gagner. Si un 130 percute sur le mur, nous sommes tous anéantis. Les obus arrivent séparément, coup après coup, leurs vitesses météoriques fondent dans un même vacarme, le sifflement et l’explosion.
Notre existence est suspendue au hasard d’une de ces chutes, à une rectification du tir que dirige l’officier de la batterie, à un échauffement d’un tube, à un rien...
À chaque chuintement lointain, nous pressentons le coup fatal. Nous sommes collés au sol, derrière le mur et l’obus tonne lourdement à quelques mètres. La terre s’entrouvre, crache des langues de feu, le champignon noir s’élève et s’effiloche dans le ciel. C’est démoralisant. Près de moi, les yeux exorbités, un jeune soldat pris de panique s’ échappe subitement comme une bête, à travers champs.
Ordre d’abandonner la ferme.
Les tentes sont dressées à 500 mètres plus loin, dans une prairie. Nous laissons dans la ferme une vieille femme et une jeune fille terrorisées depuis plus d’un mois.
Vers les lignes, le bombardement s’intensifie. Des escadrilles ennemies nous arrosent de bombes. Pour elles l’objectif est partout, sur tous les arrières pullulent des troupes de toutes armes. La nuit, sous la tente, nous dormons le casque sur la figure pour nous protéger des shrapnells qui tombent comme grêle.

Vendredi 18 mai. ━ Un peu de calme, aussi nous nous empressons de rattraper le sommeil perdu ces derniers jours.

La région n’a pas un pouce de terrain libre : artillerie, convois, dépôts de munitions, ambulances, trains de combat et régimentaire, cuisines, troupes de réserve, corvées, tout ce monde en terrain découvert, sans abri, sans tranchée, offrant des cibles faciles à la grosse artillerie.

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