LDE carnet de route p.74 1918

  • 30 décembre 2014
Lundi 25 mars. ━ De bon matin, la mitraille crépite furieusement sur notre droite.

Est-ce une sortie de l’ennemi ? Le soir est très calme. Réparons un abri effondré.

Mardi 26 mars. ━ Calme absolu.

On nous annonce que l’ennemi a déclenché une grande offensive sur la Somme, en secteur Anglais.
La menace qui pesait sur nous n’était qu’une diversion, nos travaux n’auront servi à rien.

Mercredi 27 mars. ━ Très beau temps.

Le soleil est chaud. On relâche l’état d’alerte. Cependant le duel d’artillerie se poursuit et il n’est pas prudent de sortir du tunnel. Dans la nuit nous réparons les dégâts produits par le bombardement.

Jeudi 28. ━ Le temps est magnifique et c’est une invitation de la nature à l’admirer.

Je sors du tunnel. Dans la barraque qui sert de réfectoire quatre hommes jouent aux cartes autour d’une table : Galais, Congue, Bréhan et un poilu de la 4e section. Soudain dans le ciel un sifflement léger, l’obus russe. Je plonge dans le boyau, contracté, grimaçant, car l’obus fonce sur nous. Une tôle trouée, puis un choc sourd dans la terre suivi d’un vol de frelons. De la porte du réfectoire une fumée noire et âcre jaillit et un homme expulsé roule sur moi. Je cours au tunnel et appelle du secours. Des brancardiers arrivent et nous relevons Congue blessé au bras droit, aux deux jambes et à la tête. Dans la baraque, c’est une boucherie. La table des joueurs est pulvérisée, et à nos pieds un morceau de chairs rouges. La tête de Bréhan est plantée sur un tronc sectionné à la hauteur des reins, les deux jambes rabattues en arrière - et ce regard bleu d’enfant donne à cette vision un intolérable aspect de détresse.
On a rassemblé les morceaux de notre jeune camarade et il est parti sur le dos d’un brancardier, dans une toile de tente. Il avait 20 ans. Quant aux deux autres joueurs, ils sont indemnes. L’obus a traversé le corps de Bréhan au niveau de la ceinture, l’a coupé en deux, pour ensuite traverser la table et exploser entre les huit pieds. Un 77 aurait tout anéanti.

Vendredi 29 mars. ━ Vendredi Saint.

Journée triste, il pleut à fines gouttes.
Satisfait de son dernier coup, l’ennemi semble plus calme.
Le soir l’escouade s’installe à l’entrée Nord du tunnel, dans une petite pièce qui sert de salle de garde. À minuit un obus blesse Dekoninck à l’entrée du tunnel, d’un éclat à l’épaule.
━ C’est un coup d’filon. J’ vais ramasser quelques mois d’ houstos. Adieu les copains !
Refusant tout pansement, il file dans le tunnel vers le poste de secours.
À minuit je suis de garde à quelques mètres devant l’entrée avec Jaffrézic. Pour remplacer Dekoninck je fais 2 heures de garde supplémentaires. Dans la vallée la nuit est profonde. Au loin, derrière les lignes ennemies, le ciel s’illumine d’éclairs rougeâtres, ponctués par des déclics sourds. Les salves légères et chantantes vont se briser en éclats vibrants derrière notre Jumelle, vers la sortie Sud.
Derrière nous à quelques mètres, la silhouette d’un homme s’est dressée droite sur le parapet. L’homme est immobile comme une statue :
━ Qu’est-ce qu’y fout, le Lieutenant ? me demande Jaffrézic.
━ Je n’en sais rien. Il est là depuis un moment, immobile et muet.
━ Y n’est pas gonflé ce nouveau Lieutenant. J’te fout mon billet qu’y viendra pas jusqu’à nous. Il a vu Dekoninck blessé et je crois qu’il a les colombins. Tiens, zieute ! Y mets les bouts...
Une rafale s’annonçait et piquait sur notre Jumelle. L’ombre du Lieutenant avait disparu.
Aux premières lueurs du jour, nous regagnons le tunnel.

Samedi 30 mars. ━ On discute ferme sur l’offensive allemande qui se développe dans la Somme.

Vacher pense que tout est foutu. Je ne suis pas de son avis, j’espère bien que les Boches seront arrêtés lorsque les Français seront devant Amiens.
Toute l’escouade est devenue anglophobe.
Le soir la 7e Compagnie nous remplace. Retour à Serres. Par glissades on avance sur les pistes boueuses. La voix du nouveau Lieutenant s’affermit à mesure que nous nous éloignons de la première ligne. Avant d’arriver à Serres, la voix du nouveau Lieutenant, le Lieutenant D., tonne avec énergie :
Jugularisez-vous !
Personne ne bronche.
━ Je vous dis de mettre la jugulaire au menton !
Nous mettons la jugulaire.
━ Çui-là, il est pur, souffle quelqu’un derrière moi, y ramenait pas tant sa fraise y a un moment.
Beuzelin reprend
━ On verra au prochain casse-pipe, s’il s’intéressera à la jugulaire ━ le pôvre ! Il croit qu’on rentre à la caserne.

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