LDE carnet de route p.89 1918
Samedi 17 mai. ━ On évacue encore pour les gaz et pour la fièvre des Flandres.
━ Allez, les gars, ce soir le premier peloton monte en ligne, annonce Vacher en rentrant.
Une clameur de protestation s’élève des couvertures
━ Hue ! Hue ! Tue-le !
━ Vos gueules ! hurle Vacher, bande de c... Rassemblement ce soir à 6 heures sur la route. Toi, Désalbres, tu seras agent de liaison au Bataillon. Tu rejoindras le commandant !
Je quitte donc l’escouade pour rejoindre l’état-major du commandant Bréville. Je rejoins l’escouade des agents de liaison.
Le commandant et le P. S. occupent un superbe château enchâssé dans un vaste parc. Celui-ci vient de recevoir la visite d’un 210. Pas de dégâts. En franchissant la grille je croise l’aide-major Olivier :
━ Comment ! me dit-il, tu es ici ? Mais je t’ai évacué !
━ Pas que je sache. Je suis bien toujours à la Compagnie.
━ Mais j’ai fais ta fiche là-haut, au chemin creux, et j’ai cru que tu avais filé vers l’ambulance.
━ Non, Monsieur le Major, je suis allé au colonel et suis revenu au chemin. Je n’ai pas compris. J’étais complètement sonné.
Ainsi donc, je vais rejoindre les lignes alors que je devrais être dans un hôpital de l’arrière. L’amertume me gagne et une sourde colère me monte à la tête. Je dois reconnaître que si j’étais évacuable, il en était de même pour tous mes camarades.
Je m’endors contre une haie en songeant à la douceur d’une chambre d’hôpital.
Dimanche 28 mai 1918. ━ Le bombardement m’a réveillé.
C’est l’heure du tir de barrage. Préparatifs pour ce soir. Nous sommes deux agents de liaisons pour notre Compagnie.
À 9 heures du soir, départ à la file derrière le commandant Bréville que suit directement l’adjudant du bataillon Caillouet.
Lourdement chargés les hommes longent des haies vertes, traversent des prairies en fleurs. Sur la droite le mont des Cats détache son hautain profil. Un léger nuage d’un rose frais prolonge sa cime vers le ciel pur. Est-ce un gros noir qui s’attarde sur la couronne dentelée du vieux monastère ?
La nuit lentement noie dans son manteau gris les silhouettes qui me précèdent. Des sifflements légers chantent dans les hauteurs de l’air et au loin de brutales secousses ébranlent l’atmosphère soufrée. Progressivement nous entrons sous la voûte sonore où se croisent et s’entrecroisent dans le même bruit glissant les projectiles de tous calibres.
Nous passons successivement le Mont Noir bosselé, la carrière du colonel aux lueurs languissantes et frêles, le Mont Rouge où la piste qui le franchit est toujours battue par des essaims de balles.
Voici le chemin creux de descente, aux niches serrées, où se devinent les occupants immobiles et indifférents.
Enfin, le second chemin creux, celui du dernier drame où le 2e Bataillon fondait il y a quelques jours sous les obus et les gaz.
Je partage une niche avec l’agent de liaison de la C. M. 1. Le secteur est nettement moins agité, l’ennemi a renoncé à reconquérir le terrain perdu.
J’ai posé mon barda à l’entrée du trou et voici qu’un homme m’apporte l’ordre de reconnaître la position du premier peloton monté hier sous les ordres du lieutenant Pouey de la C. M. 1. Celui-ci remplace notre lieutenant blessé, ce demi-fou responsable du massacre de la Compagnie.