LDE carnet de route p.103 1918
Depuis 14 ces missions lui sont familières.
Descente rapide vers le village du Ménil où des maisons brûlent.
Des cadavres dans la rue.
Pas de course à travers le bourg sous les obus qui fauchent murailles et arbres. Voici une grande route déserte qui longe les marais. De ce côté, sur notre droite, rien à craindre.
Les deux vagues d’assaut se sont morcelées aux caprices du terrain et avec mes coureurs et une section de la 1re Compagnie, nous grimpons sur une petite butte marquée sur la carte du nom prétentieux de Montchevillon. À notre gauche, la 2e Compagnie, dont on aperçoit les sections, se déploie en crochet défensif face au petit bois d’où l’ennemi nous mitraillait il y a un instant.
Au sommet de la colline, des tirailleurs boches déguerpissent individuellement. À la volée nous les tirons ; certains s’abattent en lâchant leurs armes, mais la plupart nous échappent. Pause sur cette position pour laisser le temps à la 2e Compagnie de fouiller le bois.
Le soleil est au midi et la progression reprend. Il n’est pas douteux que nous chassons devant nous des éléments d’arrière-garde et que nous rencontrerons bientôt la ligne de résistance. Nous traversons un plateau, laissant sur le côté un grand bois et approchons d’un grand ravin où un village flambe sous les obus.
À droite, toujours rien. Vide inquiétant.
Par le fossé d’une ligne de chemin de fer, la section progresse à l’abri des balles qui viennent du village. Nous en approchons rapidement pour rentrer dans une zone battue par l’artillerie ennemie. Près d’une gare aux voies arrachées et dont les morceaux dressent vers le ciel leurs moignons tordus, des wagons gisent sur la route. De grands arbres fauchés par les souffles meurtriers forment des barricades géantes. Je relève des cadavres français du 20e R. I.
Le ravin où nous pénétrons est un véritable enfer ; les maisons croulent en flammes sous les obus de l’artillerie lourde. Suivi par mes 7 coureurs, j’accélère l’allure à travers barricades, éboulis, arbres abattus, sous des explosions déchirantes. Par bonds successifs, je longe la falaise du ravin creusée de cavernes béantes.
Derrière un groupe nous pénétrons dans une de ces grottes. Bientôt nous serons une centaine d’hommes. Nous apprenons que les 2e et 3e Compagnies auraient traversé le ravin.
À l’appel il manque Godberg, cependant personne ne l’a vu tomber. Des isolés rentrent précipitamment, fuyant le déluge de fer. L’aspect du ravin est tragique. La végétation prise de folie se soulève et tournoie. Encore des hommes égarés et enfin voici Godberg. Il nous apprend que la carrière voisine s’est effondrée, ensevelissant 2 sections du 20e R. I., c’est le sort qui nous menace si un 210 percute à l’entrée.
Le temps passe et le bombardement ne se calme pas. Nous apprenons que sur notre gauche, le 2e Bataillon occupe des grottes voisines et que le 42e R. I. est bloqué devant Oulchy-le-Château. Vers le soir, un coureur essoufflé arrive de la 3e Compagnie.
━ Voilà, mon lieutenant, le lieutenant Dermain vous fait savoir que les deux Compagnies ont traversé le ruisseau et que nous sommes sur la côte 128. On s’est foutu à l’eau jusqu’à la ceinture et on a grimpé là haut.
━ Un coureur pour reconnaître la position de ces 2 Compagnies, demande Mansart.
Anthoine, volontaire, part et disparaît. Un instant après il est de retour. Les deux Compagnies sont bien accrochées aux pentes de la côte 128 située sur la falaise opposée du ravin. L’objectif de la journée aurait été atteint.
━ Un coureur pour reconnaître les grottes voisines sur la gauche. Anthoine, encore volontaire, sort et disparaît dans la tempête.
Ordre de quitter la carrière et d’appuyer sur notre gauche afin de nous placer directement derrière les deux Compagnies de première ligne. Le déplacement s’est effectué rapidement sous un marmitage impitoyable. Avant d’arriver dans la nouvelle grotte, un obus fauche une demi-section de la 1re Compagnie.
L’entrée est large et offre sa gueule béante aux trajectoires des obus. Des cadavres ennemis encombrent l’entrée et gisent près d’une mitrailleuse ; ceux-là même qui mitraillaient le ravin lorsque nous entrions dans le village de Breny.
Le bureau du Bataillon et le poste de secours se sont installés au fond de la carrière. Je dépêche un coureur au colonel. C’est encore Anthoine qui veut partir. Cet homme est vraiment exceptionnel.
La nuit est venue et j’en profite pour faire enterrer les cadavres qui empoisonnent l’entrée. Les corvées de soupe sont parties sous les obus et les bombes d’avions.