LDE carnet de route p.106 1918
24 juillet. ━ Après une nuit de veille (car j’ai dû assurer la liaison) je suis réveillé à 10 h. du matin.
Le soleil déjà chaud ranime mes membres engourdis par la fraîcheur qui monte du ravin.
L’attaque sera reprise demain matin et dans ce but de nouvelles dispositions seront prises.
Le Colonel est venu nous rejoindre et dans la petite grotte les Commandants des Compagnies sont rassemblés autour de lui : le Lieutenant Dermain de la 3e , Le Lieutenant Mansard de la 2e , Le Lieutenant Muller de la 1re et le Sous-lieutenant Pouey de la C.M.1.
À l’entrée un planton refoule les curieux :
━ Pas la peine d’entrer ! c’est défendu !
Et le curieux d’insister :
━ Dis, vieux ! Qu’est-ce qu’ils foutent là-dedans ?
━ Tais-toi, eh, couillon ! Tu vois pas ? c’est le Conseil de guerre, s’exclame Lamour.
━ Non ! sans blague ?
━ Oui, j’ te dis, y condamnent à mort Frigolin.
De l’entrée j’ai pu entendre le Colonel. Il parle calmement :
━ À la faveur des angles morts, nous devons pouvoir nous infiltrer par la vallée de l’Ourcq, sur le versant sud de la côte 128. Nous trouverons le bois triangulaire près de la ferme de Confavreux et c’est de ce bois que les feux de flanquement ont interdit hier l’accès du plateau à la 3e Compagnie. Ce bois doit être occupé par une section au plus. Eh bien, il faut nous en emparer si nous voulons enlever toute la position.
Sans attendre le Colonel enchaîne
━ Muller ! c’est à vous que je confie cette mission. Prenez vos dispositions pour me remettre ce soir le bois triangulaire.
Une voix difficilement perceptible répond :
Je vais faire tout mon possible, mon Colonel.
Non ! dîtes-moi : ce soir vous aurez le bois triangulaire !
Eh bien, ce soir vous aurez le bois triangulaire, mon Colonel.
Cette fois-ci la voix s’était nettement raffermie.
Les talons claquent sonores sous la voûte de pierre et Muller, le front soucieux, va rejoindre ses hommes égrenés au pied de la falaise. Enlever le bois par cette journée claire, par surprise, sans préparation d’artillerie, semble une folie, mais l’ordre a été donné et l’ordre a été exécuté.
Voici quelle fut l’odyssée de la 1re Compagnie.
La Compagnie Muller s’est enfoncée dans le ravin de l’Ourcq. Armés de fusils et de fusils-mitrailleurs, sans sac et en vareuse, les hommes remontent la rive en colonnes d’escouade. En tête, l’Adjudant Longièras a déployé sa section. Chacun est grave mais résolu.
Le soleil plonge ses flèches lumineuses dans les plus profonds taillis. La garde de l’ennemi est facilitée par cette puissante luminosité. Pour mettre à profit les angles morts, la Compagnie chemine par le fond du ravin de la " Fausse rivière ", petit bras sinueux de l’Ourcq.
Buissons, boqueteaux sont occupés successivement avec mille précautions. Voici la ferme de Confavreux et deux hommes s’en approchent en rampant. Rien... Sans bruit la ferme est occupée. Le bois triangulaire n’est plus qu’à 300 mètres.
Face à la patrouille de gauche, un cri s’élève. D’un buisson deux Allemands se dressent et fuient ; ils vont disparaître dans le rideau vert qui borde la Crête du ravin et jeter l’alarme. D’un bond Longieras arrache un fusil-mitrailleur des mains d’un homme ; la rafale crépite, casse du bois et les deux sentinelles allemandes s’abattent foudroyées. On s’arrête. On écoute. On attend. Rien... Par petits bonds les patrouilles de tête avancent et sur un signe de Longiéras elles s’arrêtent. On aperçoit maintenant le sommet feuillu du petit bois triangulaire.
Suivi d’un sergent, Longiéras avance en rampant ; couché dans les hautes herbes, il découvre la lisière du bois bordée d’une route, surmontée par un talus. C’est un véritable nid de mitrailleuse. Muller est venu rejoindre les deux observateurs ; ils sont à 150 mètres du but. Chez l’ennemi c’est le calme, et on peut compter les mitrailleuses égrenées sur le talus.
Les trois hommes sont redescendus à reculons. Conciliabule : on prendra le bois par surprise d’un seul bond. Le premier peloton chargera d’ici, le second ne bougera pas, mais assurera le repli en cas d’échec.
En rampant, le peloton d’attaque s’approche jusqu’à la limite de visibilité. L’ennemi est confiant, il ne se doute de rien.