LDE carnet de route p.113 1918
27 juillet. ━ Le bombardement croît en intensité.
Les soupiraux de la cave se bouchent et se débouchent à chaque rafale. Je me rends à la Compagnie pour avoir des nouvelles sur les circonstances de la mort de mon camarade. Je ne trouve personne à l’escouade. Bénard et Faucher viennent d’être évacués pour blessure.
De l’escouade, je reste seul.
Un 130 a percuté sur un arbre et d’un coup de pichet, la mitraille a tué net Joutel et le Savoyard ; leurs corps ont été descendus dans la nuit.
La relève n’est pas encore pour ce soir et cependant le bataillon est réduit à l’état squelettique.
Toute la nuit il a plu, et les hommes sont exténués. À la cave j’ai trouvé de nombreux blessés, on ne cesse d’en amener. Parmi eux, un Tarbais connu pour ses talents de chanteur. Son bras déchiqueté lui arrache des cris rauques. Nous l’écoutions souvent Chanter " L’ou bet céou de Paou ". Sa voix maintenant se traîne dans la douleur de la chair meurtrie.
Dehors une pluie fine, brumeuse, ne cesse de tomber.
28 juillet. ━ Relève pour ce soir.
Je porte la bonne nouvelle à la Compagnie. Les yeux des hommes se rallument. Cependant, l’Adjudant Caillouet ne croit pas à la relève de la D.I., le pourcentage de pertes ne serait pas atteint : il faudrait atteindre 75 %.
À notre gauche, le 23e attaque et progresse au Nord-Ouest d’Oulchy.
À minuit le 42e nous relève. Caillouet avait raison. La D.I. reste toujours sur la brèche. Ce Régiment attaquera au lever du jour.
J’ai fait sortir mes coureurs dans la cour de la ferme. La nuit est très noire et la terre humide dégage une vapeur lourde.
Les gars du 42e sont arrivés à l’heure et ordre pour nous de rejoindre individuellement Montchevillon.
━ Allez ! caltez ! et en vitesse.
Je me joins, à Lagarde, caporal de ma classe, détaché au Bataillon par la C.M. 1.
Sur un terrain glissant, le plateau des Justices est traversé en quelques minutes.
Derrière moi, un type alourdi par sa charge et la fatigue trébuche constamment. Ce malheureux a perdu le sens de l’équilibre. À chaque chute il s’énerve et invective bruyamment les cieux. Je le rappelle au silence.
Au bois triangulaire nous longeons la crête d’où nous partîmes pour l’assaut. Des cadavres de 4 jours, complètement décomposés exhalent une odeur puante qui serre la gorge. Des chevaux, pattes de côté, sont boursouflés par les gaz. Près des 75, les artilleurs fatigués dorment près de leurs pièces.
Au ravin de l’Ourcq, on retrouve l’agitation nocturne de l’arrière : artillerie, ambulances, ravitaillements, sont en mouvement. À la gare de Brény c’est un encombrement prodigieux ; nous les fantassins, nous glissons à travers les méandres de l’embouteillage. Après une pause de quelques minutes nous arrivons à 8 h. du matin au Montchevillon.