LDE carnet de route p.107 1918
Dans quelques secondes, le combat va se déclencher, peut-être terrible et meurtrier ; les nouveaux soldats de Marathon vont charger.
Sur un signe, le peloton en bloc se dresse comme une muraille. Farouches et muets, les 40 hommes se ruent sur la tranchée ennemie. Pas un n’est resté en arrière ; c’est à celui qui arrivera le premier.
De la tranchée adverse, les guetteurs ont vu cette charge hallucinante : 40 fous fonçant sur eux, le cou tendu, l’arme haute, le visage crispé, bouches muettes. L’alarme est donnée et les allemands bondissent sur leurs armes. Le peloton va-t-il avant le but se coucher en pleine course, comme sous un coup de faux ? Trop tard ! la charge est à 30 mètres et quarante fusils s’abaissent et tonnent à la fois. Des bras se lèvent, les ceinturons tombent, l’ennemi en bloc s’est rendu.
Le bois triangulaire est pris. Sans perdre un homme, Muller a tenu sa promesse. Il fait 21 prisonniers, ramasse 15 mitrailleuses et 2 canons de tranchée. Une section nous a ramené les 21 gaillards, penauds, les bras ballants. Ils sont introduits de suite dans la grotte pour l’interrogatoire. Cependant, intrigué par les brassards de la Croix-Rouge qu’une douzaine d’entre eux portent à leurs bras, le Major Olivier flairant l’astuce arrache ces insignes en leur disant :
━ Vous voulez nous faire croire que c’était une section de brancardiers qui occupait ce poste de première ligne ! Allez ! enlevez-moi ça ! nous ne tuons pas les prisonniers.
C’est la troisième fois que nous capturons des mitrailleurs munis de brassards de l’insigne de Genève. Ceux-ci affolés, inquiets, sortent de leurs poches leurs objets personnels : montres, carnets, canifs, etc...
Rengaine ça dans ton froque ; on n’est pas des pillards. Ne comprenant rien, leurs visages passent de l’effroi le plus profond au sourire forcé. Leur contenance est du plus haut comique.
L’attaque sera reprise demain matin et dès la nuit nous nous sommes endormis sur une note optimiste.
L’ennemi sait que le bois triangulaire est maintenant en nos mains ; il marmite copieusement le ravin de Chaudailly et celui de l’Ourcq.
Dans la nuit, grand mouvement de troupes ; le 3e Bataillon grimpe sur le plateau sous un tir de barrage.
Il remplace le 1er qui appuie sur la droite vers le bois triangulaire.
Une chose cependant inquiète le commandement, c’est le Belvédère. C’est une petite tour qui domine le plateau d’où les mitrailleuses ennemies surplombent notre ligne de tirailleurs. Par tir courbe on n’a pu le détruire. Il sera détruit par tir direct, ainsi en a décidé le Commandement. Une pièce de 75 du 47e R.A. montera dans la nuit et voici l’odyssée d’une poignée d’artilleurs, telle que me l’a rapportée un de mes coureurs.
À minuit une pièce du 47e a quitté le bois de Lud. L’attelage rejoint au trot la route de Breny, pénètre le ravin de Chaudailly sous un tir de barrage. Après bien des difficultés la pièce et le caisson qui l’accompagne traversent le petit ruisseau. Il faut maintenant monter sur le plateau. Un chemin monte de biais. On l’emprunte, il est rocailleux, défoncé, coupé par des troncs d’arbres. À l’aide de haches, de pioches, de pelles, les artilleurs ouvrent le chemin sous la lueur des fusées et des explosions.
Une rafale de 77 siffle, les obus percutent et dans un tonnerre, pièce, caisson, attelages et hommes sont renversés. Les survivants coupent les cuirs, libèrent les bêtes blessées ou tuées. Il faut sauver la pièce.
Situation tragique, sans arrêt les obus tombent.
Le sous-lieutenant commandant le détachement a perdu la moitié de ses hommes. Les chevaux sont ou tués ou blessés et il faut être là-haut en position de tir avant le jour. Un artilleur est parti pour chercher du renfort, mais voici un bruit confus, qui monte du ravin : c’est une troupe en marche. Le Capitaine de la 7e Compagnie du 128e se fait connaître, il monte en ligne suivi de ses hommes. La situation est de suite comprise ; les cadavres sont rejetés sur les côtés et les 60 hommes s’attellent à la pièce et au caisson. En moins d’une demi-heure le canon est sur le plateau et au petit jour, dès l’attaque, le Belvédère sautera par tir direct.