LDE carnet de route p.59 1917
Vendredi 28. ━ Ordre de rejoindre le front de Lorraine, mais on ne partira que demain.
On aura tiré 3 jours sous la paille.
Samedi 29. ━ Le Bataillon se met en mouvement à 9 heures du matin par une température glaciale.
Le vin gèle dans les bidons. Ça me rappelle l’hiver dernier dans cette même région. Passons au village de Saffais où nous défilons au son des cors de chasse du 45e Chasseur Alpin.
━ Ces c... de chasbis auraient, pu nous foutre la paix avec leurs trucs à pécher les anguilles, clame un poilu excédé.
━ T’en fais pas. Tu vois pas qu’ c’est la marche des patineurs qu’ils nous jouent.
C’est bien un patinage à petits pas que nous menons et non un défilé. La glace et le froid qui nous voûtent obligent une progression par glissades successives.
On repasse à Deuxville que nous connaissons bien et arrivons à Einville-au-Jard à 10 km. des lignes. Nous avons fait 30 km. de glissades.
Dimanche 30 décembre. ━ Nous monterons en ligne ce soir pour relever le 77e R. I. du 9e corps d’armée.
Les 42e R. I. et 23e R. I. nous ont déjà précédé.
Depuis sa descente de cote 304, le régiment forme avec les 42e et 23e Régiments, la 41e division d’infanterie (Division de Granit). Le général Guignabaudet en est le chef et le colonel Bablon commande l’Infanterie Divisionnaire.
Notre bataillon a perdu son commandant, le commandant Meunier, blessé à cote 304 et c’est le capitaine Péralda qui le remplace. Le capitaine Péralda a 25 ans, c’est un officier de grand avenir.
La Compagnie est toujours sous les ordres du capitaine Malgarny, secondé par les lieutenants Mansart, Kadrul, Barcelot (en stage), l’adjudant Devillard et le lieutenant Hocquet qui viennent d’arriver.
Le sergent Vacher, secondé par le sergent Baubeault commande notre Section (la 2e) en l’absence de Barcelot ; Dersigny nous a quitté pour l’instruction de la classe 18.
De Salonique sont arrivés des renforts.
La compagnie comprend encore le sergent-major Virton (aîné), le Caporal-fourrier Virton (cadet), les sergents Meyer, Vilmo, Amiel, Verdier et Regouby.
Relève sans histoire. Secteur calme. Nous occuperons les lignes dans le village de Bures après la traversée nocturne de plaines blanches.
Spectacle étrange, du type épopée napoléonienne : une file sombre de soldats serpentant sur un immense tapis de ouate, sous un ciel figé par le froid.
Est-ce le retour de Moscou de la grande armée ?
Sans aucun boyau, on arrive dans les tranchées de plein champs. C’est un secteur voisin de la forêt de Parroy. La Compagnie s’abrite dans une immense sape creusée contre une colline qui domine le village de Bures. Les avant-postes sont égrenés vers le nord à quelques 200 mètres d’ici, sous la protection de deux barrières profondes de barbelés.
À l’arrivée, je prends la garde devant l’abri. Tout est clame. De-ci, de-là, les coups de feu dans la nuit ; les sentinelles veillent. Quelques fusées à parachute métallisent pendant une minute le paysage de glace. C’est vraiment féerique. Loin dans la plaine, les fusées allemandes éclairent un horizon ondulé.
Lundi 31 décembre 1917. ━ Contrairement aux autres secteurs, pas de tranchées continues ; des points fortifiés et isolés, qui croisent leurs feux.
L’ennemi est à 1.500 mètres, il est possible d’allumer des feux et de conserver les cuisines avec les compagnies. Secteur confortable.
Garde de nuit au P.P. de droite. Joutel est avec moi. Nuit très claire, froide, air vif. Nous aurions paraît-il des Bavarois devant nous. Rien ne bouge, la, vaste plaine neigeuse est bien endormie. Je termine l’année 1917 isolé sur ce coin de France, aux avant-postes, en compagnie d’un Normand. Depuis le Légionnaire d’Aétius la garde continue.
Toute la nuit, les Bavarois ont chanté. Leurs cris et leurs chants sont venus distraire nos quatre heures de garde. Une patrouille de chez nous est sortie vers les étangs sur notre droite, quelques coups de canon ont rappelé que nous étions en guerre et non à une partie de chasse aux canards.