LDE carnet de route p.46 1917
Dimanche 16 septembre. ━ Le secteur est redevenu calme et le ciel, qui a eu pitié de nous, nous verse une douce chaleur.
Journée ensoleillée.
Nous occupons la tranchée des Aunes, en seconde ligne. Devant nous à 7 km., la formidable positions de Montfaucon-d’Argonne offre à l’ennemi un poste d’observation qui domine toutes nos lignes. À notre gauche, le bois d’Avocourt, et à notre droite, un peu en retrait, la cote 304.
Dans la nuit la section est de corvée de grenades. Nous devons porter en premières lignes des caisses de 50 kg. Aidé par Wanlin, je traîne une caisse sur une centaine de mètres. On doit y aller prudemment pour éviter un enlisement dans les trous débordants d’eau.
Sur une glissade ces gros entonnoirs peuvent tout engloutir, hommes et caisse. Retour rapide. Soupe à l’arrivée.
Lundi 17. ━ Au lever du jour les sergents nous mettent à la réfection de la tranchée.
Nombreux Tauben dans les airs. Dans la nuit, nouvelle corvée de grenades pour la première ligne. Je fais encore équipe avec Wanlin. Au retour notre guide s’égare ; nous errons par groupes sans retrouver notre tranchée. L’incertitude du guide nous inquiète sérieusement. Nous nous sommes à n’en pas douter égarés. Flottement, désarroi, pagaille. Les 40 hommes de la corvée se dispersent, les uns à droite, les autres à gauche. Certains retournent en arrière. Il doit exister une solution de continuité dans les lignes. Au moindre bruit nous risquons d’alerter les deux lignes et nous faire massacrer. Près de moi, un petit groupe tombe sur du barbelé. Au grincement du fer une voix française jette l’alerte.
━ Halte-là ! Qui est là ?
De l’ombre 40 voix étouffées s’écrient :
━ Ne tirez pas ! Ne tirez pas !
Nous sommes tombés sur la première ligne du 120e R. I. au secteur d’Avocourt.
Depuis un moment une mitrailleuse braquée sur nous suivait nos allées et venues dans l’interligne. Le sang-froid d’un officier a évité de justesse le massacre de la section.
À 1 heure du matin, nous étions de retour au complet.
Mardi 18. ━ Temps superbe.
Interdiction de rester dans la tranchée pour éviter notre repérage par les aéros ennemis. Il fait si beau que je trouve navrante cette décision.
━ C’est vraiment malheureux de ne pouvoir profiter de cette belle journée.
Le lieutenant m’a entendu, il me lance du fond de la sape :
━ C’est vraiment malheureux qu’il y ait une guerre en ce XXe siècle.
La nuit, corvée devant la première ligne. Ordre de creuser une nouvelle tranchée. Départ en colonne par un avec pelles et pioches. Je fais équipe avec Dekoninck ; je prends la pioche, lui, la pelle. Nous sommes à 200 mètres des boches et devant nous, un réseau de patrouilles nous couvre. Le travail est à la tâche, chaque équipe a 2 mètres de tranchée à creuser.
L’ennemi a deviné notre présence. Des rafales de 77 arrosent au petit bonheur le ravin où nous travaillons. Les obus tombent sur notre droite, mais suffisent pour stimuler notre ardeur au travail.
À 2 heures du matin, la tranchée est terminée. Retour et soupe.
Mercredi 19. ━ Beau temps.
Activité de l’aviation. Travaux nocturnes au boyau. Ces travaux de nuit seraient monotones si nous n’avions la possibilité de fumer la pipe grâce à une astuce. On place sur le fourneau un capot de grenade, on évite ainsi toutes lueurs.