LDE carnet de route p.50 1917
Mercredi 10 octobre. ━ Tenue de tranchées.
On relèvera le 87e R.I. au soir. Départ à 6 heures pour le même secteur.
Il pluviote et dans le silence coupé de grognements les sections s’égrènent dans le boyau plein d’eau. La boue froide monte parfois jusqu’au bas ventre et cela produit une pénible sensation. On tire, on arrache chaque pied de cette colle noire qui nous aspire.
À 11 heures, nous arrivons à la tranchée du ravin des Aunes. La boue fluide et piquante a pénétré dans mon pantalon et les molletières sont réduites à l’état de papier buvard. Dès l’arrivée je prends la garde jusqu’à minuit. Mes membres inférieurs sont sans vie et ankylosés par le froid.
Rentré au gourbi, je me déchausse et frotte énergiquement la plante du pied droit avec de l’alcool de menthe, l’épiderme était insensible. Début de pied gelé.
Jeudi 11 octobre. ━ On évacue plusieurs hommes pour pieds gelés.
J’ai évité de justesse la perte du pied droit, une heure de plus de garde suffisait.
Le froid s’annonce par du brouillard pénétrant. Au matin, il submerge de sa nappe cotonneuse le ravin des Aunes et se dissipe vers onze heures.
Les gardes aux P. P. sont pénibles et longues.
Le ciel est couvert et nous ne pouvons plus nous distraire à compter les étoiles.
Cette nuit, une patrouille ennemie a surpris un poste de la 3e Compagnie. Deux des nôtres ont été blessés par des pétards à manche. Elle a été finalement repoussée par deux hommes du poste voisin.
Vendredi 12 octobre. ━ Il pleut.
Journée glaciale. On évacue pour pieds gelés.
Je suis chargé avec Wanlin de surveiller les lignes adverses. Barcelot nous cède ses jumelles. Ce travail est passionnant. Nous consignons sur une feuille ce que nous observons.
Samedi 13. ━ Observation.
Je note le passage d’un officier allemand dans la tranchée qui serpente sur la crête d’en face. Wanlin le tire et le manque.
Ces jumelles nous permettent de connaître dans ses détails le secteur ennemi. Le boyau du Piré qui dessert toute la première ligne boche est dans l’axe de notre vue. Tous les passages sont relevés et consignés.
À la nuit, je me rends à la section voisine faire une partie de manille avec Vacher et Dersigny. Subitement des grenades explosent là-haut à l’entrée de notre abri. D’un bond nous sommes sur nos armes et hors de la sape. Dans la tranchée des ombres filent vers la gauche.
━ Qu’y a-t-il ?
━ Les boches ! les boches !
━ Où les boches ? tas d’enflés !
Barcelot, revolver au poing, apostrophe un homme debout sur le parapet. Il hurle
━ Qu’est-ce que vous foutez ici ? Retournez immédiatement à votre poste !
━ Mon lieutenant, voilà... qu’on vous explique... les boches sont venue, on leur a jeté des grenades et ils sont partis.
━ Comment, et c’est pour cela que vous foutez le camp ? Retournez à votre poste... En avez-vous amoché ?
━ Aucun, mon lieutenant.
━ Ah ! bande de c... ! Vous les aviez à quelques mètres et n’avoir pas su en descendre un. Faut-il que vous ayez eu une trouille ! …
Les deux hommes sont repartis dans le noir.
La patrouille ennemie a eu une veine qui n’égale que son audace.
Dix à quinze hommes sont passés devant trois de nos postes, marchant d’un pas alerte comme des promeneurs sur un boulevard. Les nôtres médusés par une telle assurance ont cru avoir à faire à une patrouille française. Arrivée devant le PP 2, la patrouille s’est arrêtée, un homme s’est détaché, s’avançant vers nos deux guetteurs tapis et anxieux. Hésitant, l’homme a tâté les fils de fer, le petit poste a jeté l’alarme :
━ Qui est là ?
Surpris, les boches se sont débandés dans le ravin sous les explosions de grenades.
Pendant toute la nuit notre lieutenant n’a cessé de maugréer de colère et de dépit.