LDE carnet de route p.21 1917
rien de plus que ce que vu. Cependant on apprend que l’ordre de la relève est bien parvenu au P.C. de la Compagnie.
Les gens d’en face ne veulent pas nous laisser la paix. À 8 h. du soir un aéro boche nous survole très bas. Personne ne bouge. Après son départ, le boyau du Godet subit un marmitage en règle par rafales de 4 obus à la fois. Ce bombardement par du 150 se prolonge et menace de durer jusqu’à la nuit. Que font nos artilleurs ? Le malheureux boyau doit être complètement retourné et notre tour ne va-t-il pas venir ?
Vers 9 heures, avant le crépuscule, un grondement sourd de nos arrières. L’onde sonore se module en vagues successives, puis subitement sur nous en bruit aérien. L’obus de gros calibre passe lentement dans les airs, fonce puissamment sur le Mont Espin où s’élève un gigantesque geyser de fumée, de terre et de pierres dans un fracas épouvantable.
━ Ça c’est du 400 s’écrie quelqu’un dans la tranchée.
━ Pour un maous, c’est un maous, encore 3 ou 4 comme celui-là et l’ami Fritz va se calmer.
Ce n’est pas 4 mais 10 obus de ce calibre qui vont écorcher le Mont Espin et l’artillerie allemande s’est tue. On appelle cela un tir de représailles.
J’étais au créneau Lebaudy lorsque vers minuit, un jeune Joyeux du 3e Bat’ d’Af est venu me relever. Il était accompagné d’un sergent.
J ’entends ce dernier crier :
━ Tu vas finir de râler, tête de lard
D’un bond j’ai rejoint mes camarades qui un par un filaient vers l’arrière. Ordre : rejoindre individuellement le P. C. de la Brigade.
Gallais me tire par mon fusil :
━ Vite, cavalons ! Ils font un boucan ! Ils vont faire repérer la relève.
Dans le boyau les Joyeux arrivent dans un charivari incroyable. Ils grognent, rouspètent, s’insultent, s’énervent. En déguerpissant j’écrase un pied. Hurlement.
━ Houla ! il m’écrase les panards ce c..-là !
Dans le boyau du Colombier c’est toute la suite de la relève montante que nous croisons ; les deux courants humains s’enchevêtrent dans un bruit inquiétant. Bousculé, écrasé, le visage écorché par les manches des pêle-bêches, je quitte le boyau, me hisse sur le parapet, afin d’éviter le mascaret qui monte sans ménagement pour nous, « les mecs de la régulière ».
Sur la plaine défoncée, dans le noir, je force l’allure. J’ai pu rattraper quelques camarades et à la file, dévalons vers les marais.
Sans nul doute, le boche a senti la relève. Des fusées s’élèvent et les premières rafales de fusants crachent leurs plombs sur nos têtes. De culbutes en culbutes, j’atteins une passerelle où obus et schrapnels tombent comme grêle. En paquets, des hommes se rue au pas de course sur les passages de bois.
Sous les lueurs grises, une file de tirailleurs algériens monte par la passerelle voisine en poussant des jurons arabes.
Malheur à ceux qui culbutent dans le marais ! Après le canal c’est le salut. Les boyaux sont bons et rien n’y tombe.
Camp des tuileries, P.C. de la brigade. Les sections se reforment, les compagnies se regroupent près des batteries de 75 en pleine action.
Il est 3 heures du matin. Le bataillon en colonne par quatre prend la route.
Bouvancourt. Je m’écroule sur une prairie près de notre cantonnement. J’ai dormi 16 heures.
Mardi 29 mai. ━ Nettoyage général des effets et des armes.
On se rase la barbe dure et crayeuse, et repartons encore fatigués pour Savigny-sur-Ardres où le régiment doit se regrouper.
Ma section est commandée par le sous-lieutenant Barcelot, cet ancien Caporal qui fit une courte apparition au D. D. à Blénod-lès-Toul.
Vacher et Dersigny sont les deux sergents. C’est ici que j’apprends par des camarades de le. Compagnie les circonstances de la mort d’Haribey, mon ancien condisciple à l’École des Frères de La Réole. Je devais lui remettre un paquet de la part des siens.