LDE carnet de route p.49 1917
Le soir nous retrouve dans la tranchée avec nos pelles et pioches. Une mitrailleuse d’en face nous arrose de balles, la pièce fait un tir d’éventail sur notre parapet. Barcelot empoigne un F. M. et répond. Après quelques coups, l’arme ne veut plus rien savoir, le chargeur à demi-lune est encrassé comme à l’habitude. Dépité, Barcelot engueule vertement son propriétaire.
Ces incidents de tir sont fréquents, avec cette arme. Ce n’est pas la mécanique de la Hotchkiss. Cette dernière, moins rapide que la Saint-Etienne, est une merveille de simplicité et de solidité. Elle fonctionne bien qu’ encrassée par de la boue.
On a retiré la demi-section de mitrailleuse qui était sur notre droite, elle doit s’installer en seconde ligne. Le commandement estime que la première ligne ne doit pas être défendue par des armes à cadence rapide.
Cette nuit, garde au PP 3. L’ennemi arrose nos arrières d’obus à gaz, les projectiles passent en sifflant et s’écrasent comme des pots de fleurs. Vraisemblablement l’ennemi croit à la relève, indication fausse donnée peut-être par un des 12 prisonniers.
Les hommes des corvées de soupe arrivent harassés, le masque en permanence sur la figure.
Mercredi 26 septembre. ━ journée ensoleillée.
Les 88 ne nous quittent plus. Notre position en flèche intrigue l’ennemi.
Garde à l’entrée de l’abri jusqu’à minuit. Ensuite je suis de corvée de soupe. Les cuisines nous rejoignent au carrefour de la route d’Esnes-en-Argonne et du boyau Cannebière. Rafales sur les pistes.
Je rentre fourbu pour reprendre jusqu’au jour, la pelle et la pioche.
Jeudi 27. ━ L’activité de la section s’exerce la nuit.
Une patrouille boche nous appelle du ravin :
━ Kamarades Vrançais ! Kamarades Vrançais
Silencieux, nous attendons grenades en mains. De nouveau le patrouilleur lance
━ Vrançais, pas répondre ? Oh là là !
Sur l’ordre de Vacher je lance une grenade V. B. dans la direction de l’appel.
Du tromblon incliné la grenade s’échappe et fuse, elle éclate vers le fond du ravin avec fracas. Pour toute réponse, un rire ironique monte jusqu’à nous.
On annonce la relève pour cette nuit. De garde au PP 1, je suis relevé avec mon camarade par deux soldats du 87e R. I. Il est minuit.
━ Au revoir, les gars, et bonne chance !
Avec Thépaut, mon camarade de garde, je rejoins l’abri, déjà occupé par nos remplaçants. On charge sacs et musettes et filons vers l’arrière par les pistes qui sillonnent le plateau.
La nuit est si claire que les veilleurs ennemis ont jeté l’alerte. Encadrés par des faisceaux de balles, relevons deux blessés aux jambes que nous laissons au P. C. du commandant.
Nous avons rattrapé la section au P. C. de la Brigade et à 3 heures nous sommes au camp de Béthelainville.
Vendredi 28. ━ On s’est installé dans les abris du camp déjà bien connus.
Nettoyage des effets et des armes. Les F. M. sont entièrement démontés et huilés. J’ai l’avantage de posséder un fusil lance-grenades. C’est moins lourd et c’est plus facile à nettoyer.
Tous les soirs, éclairée par une bougie, la section écoute les chanteurs bénévoles. Deckoninck, le Parisien, nous pousse une série de chansons sentimentales et guerrières, les toutes dernières :
━ Le Chant de la Marne,
━ La relève,
━ Tu reverras Paname, etc.
Chaque fois notre chanteur obtient un franc succès et le pinard aidant les soirées sont très gaies.
Par ordre du lieutenant on a dispersé la 5e escouade, la nôtre. Mesure de discipline, contre le désordre qui ne cesse d’y régner.
Je passe à la 7e escouade, sous les ordres du caporal Puysalinet. C’est un solide gaillard, originaire de l’Auvergne et soldat de l’active. Il est très aimé de ses hommes.
Voici mes nouveaux camarades : Bocquet, Harquey, Thépaut, Drouin, Cazemayou et Peynaut. Le plus ancien est le Périgourdin Cazemayou, il a 28 ans.
Nous sommes restés au camp jusqu’au 10 octobre. De temps en temps, quelques obus de 105 tombaient au petit bonheur.
Le jour on flânait dans les bois et la nuit on chassait les rats.