LDE carnet de route p.32 1917
lignes une couverture pliée sous son bras. Rapidement j’épaule et tire. Je manque le but. J’arme de nouveau, mais la culasse boueuse glisse difficilement. Je tire et manque encore l’homme. Le boche a très vite disparu. Je suis vexé. Gallais qui n’avait que des grenades comme arme, rit de ma maladresse. J’étais classé bon tireur à la caserne.
L’après-midi, repos dans la cagna tandis que notre artillerie lourde ne cesse de harceler les lignes ennemies.
Ce soir j’irai à la corvée de soupe.
Rassemblement de la corvée à 9 h. du soir au P.C. de la Compagnie. On fait l’appel et par le boyau des zouaves le sergent nous entraîne vers le ravin de la mort.
Il y a 300 mètres très dangereux à parcourir sans boyau, vers le fond toujours très marmité.
Je porte 6 bidons de 2 litres et un bouteillon dans lequel je ramènerai le rata. Cela fera une vingtaine de kilos.
Le passage du ravin maudit se fait sans incident, mais à peine sommes-nous sur l’autre versant, déjà engagés dans le boyau de la Cannebière, qu’un tir de barrage se déclenche transformant le ravin en un cratère de feu.
Un retard de quelques minutes et nous risquions l’anéantissement.
Nous avons trouvé les roulantes dans la forêt de Hesse après avoir parcouru 8 km. sous un ciel sillonné d’éclairs.
Distribution rapide. Nous sommes rentrés par la route Avocourt-Esnes arrosés de balles de tir indirect. Le tir de barrage avait cessé mais dans le ravin nous trébuchions sur des cadavres frais que des brancardiers relevaient.
━ tention au machabée !
━ tention au machabée !
━ tention au machabée !
de bouche en bouche l’observation macabre gagne l’arrière de la file, mais dans l’ombre on ne peut éviter le mort. Impression pénible. Le pied s’enfonce dans le ventre mou qui n’oppose aucune réaction. Au fond du ravin nous croisons un pauvre bougre filant vers l’arrière en poussant des cris de bête. Un homme pris de panique ou de folie. À une heure du matin nous sommes de retour complètement épuisés.
Vendredi 13. ━ Journée calme.
Notre bon vieux Breton a été tué. La section compte 3 morts et 8 blessés.
Coups de fusil dans la nuit.
Samedi 14. ━ On parle de la relève pour ce soir.
Des officiers du 51e R. I. sont venus reconnaître le secteur dans l’après-midi.
Le soir des 75 tombent trop courts, presque sur nous. Je lance la fusée : « allongez le tir »
Nuit calme. Coups de feu. On relève la tranchée qui s’éboule.
Dimanche 15. ━ Ciel gris.
Les deux artilleries s’acharnent sur les premières lignes. Relève pour ce soir. Je suis désigné comme guide pour ramener la section qui doit nous relever.
À 7 h. du soir les guides sont rassemblés au P.C. de la Compagnie sous le commandement du sous-lieutenant Barcelot. Il fait encore jour et descendons le ravin par le boyau des zouaves. Une saucisse boche accrochée au ciel derrière le Mort Homme a vu la corvée et de suite les rafales rappliquent. Course folle à travers les entonnoirs.
Devant nous la terre frémit et se soulève en masses vaporeuses. Le Lieutenant hésite, puis fonce dans le rideau noir. Nous passons sans casse.
Au P.C. nous apprenons que la relève n’est pas pour ce soir.
Retour dans un calme complet.
Pendant mon absence, une patrouille ennemie s’est approchée du barrage. Le petit poste de droite s’est replié et Joutel a lancé de la tranchée quelques grenades. La patrouille s’est repliée en laissant quelqu’un sur le terrain ; pendant un grand moment on a appelé de la tranchée ennemie, mais le camarade ne rentrera jamais plus.
L’ennemi paraît toujours très inquiet.