LDE carnet de route p.29 1917
━ Ça fait rien, il n’a pas les foies, murmure Wanlin à mon oreille.
Dersigny a disparu et après lui, les minutes se succèdent longues et angoissantes. Les yeux s’épuisent à fouiller un vide immense, et le regard se perd dans un abîme de ténèbres. Les oreilles dressées comme des antennes s’efforcent de capter le moindre bruit.
Rien. Comme le tic-tac d’une pendule, j’entends battre mon cœur. À chaque fois, les fusées apportent une legère détente des nerfs. Le silence se prolongeant, devient de plus en plus pesant.
Toujours rien, pas un bruit. Qu’est devenu le sergent ?
━ Écoute !
━ Je n’entends rien.
━ Tiens, encore... là, dans le boyau... un léger frôlement.
━ Psst... Psst... ,
Une ombre se dresse derrière le barrage. Dersigny.
━ Ça gaze. Les boches sont à plus de 100 mètres et à 40 mètres d’ici il y a dans le boyau une sape à deux entrées. On va avancer le barrage et on aura le gourbi à nous.
Pour l’opération, toute la section a été ramenée à notre barrage. On procédera comme il suit :
Le sergent passera le premier, puis un par un, les autres suivront en s’égrenant sur les 40 m. de boyau à conquérir. Le dernier démontera le barrage actuel et passera les matériaux qui suivront la chaîne jusqu’au sergent. Celui-ci construira le nouveau mur.
━ Et surtout du silence ! Les boches sont à 100 mètres.
L’opération commence. Dersigny grimpe le premier et passe de l’autre côté. Texier enjambe à son tour l’obstacle, mais à ce moment une fusée s’élève en face. Le veilleur boche a vu la silhouette. Cri d’alerte. Fusée trois étoiles. Immédiatement le signal est répété sur toute la ligne ennemie, tandis que mitrailleuses et grenades ouvrent le concert.
━ Tir de barrage !
━ Bougez pas ! Bougez pas l
Nous ne bougeons pas, mais comme soulevée par un cataclysme la terre se met à bouger. Un ouragan de fer passe sur nous. En quelques secondes nous nous trouvons plongés dans un monde hallucinant et derrière nous la tranchée s’illumine d’éclairs sanglants.
Passez vite, les autres ! hurle le sergent. Commençons le boulot ! Plus on sera près des boches moins on écopera. Allez ! à toi, dem... toi plus vite ! Au dernier ! attaque la démolition et fais passer en vitesse
Les sacs à terre, les moellons passent de mains en mains.
Courbés dans le boyau, sous l’ouragan de fer, nous faisons la chaîne qui transporte à Dersigny les matériaux pour le nouveau barrage.
À chaque souffle, à chaque déchirement de chaque éclair rouge, les corps sont paralysés. Les rafales se succèdent dans un vacarme monstrueux et des froufroutements géants annoncent des explosions volcaniques qui ébranlent ciel et terre, les 210. Les météores impitoyables cherchent dans la nuit, des hommes à massacrer, tandis que des fusées multicolores foncent droit dans l’atmosphère rougeâtre où flotte une ouate épaisse. Heureusement ce déluge affecte la tranchée Bouchez, derrière nous. La proximité de l’ennemi nous place dans une position avantageuse.
━ Zieutte la belle sape vieux, crie quelqu’un.
━ Ça valait bien ce sacré boulot.
━ Houla... ça devient intenable !
━ C’est pas cor fini ?
━ Y en a encore autant à faire.
━ M... y en a marre !
Sur nous une explosion gigantesque. Des cris.
Des moellons, de la terre nous envahissent en pluie.
━ Tiens, v’la du rab pour le barrage ! hurle un fou.