LDE carnet de route p.45 1917

  • 3 décembre 2014

À Dombasle-en-Argonne, nous rattrapons l’escouade et la marche vers Jubécourt se poursuit silencieusement. Les hommes avancent cahin-caha sur des jambes molles. Le spectacle que nous offrons est pitoyable. S’agit-il d’une armée moderne ou de bandes de mercenaires au retour d’une expédition lointaine ?
Les capotes boueuses sont informes et incolores. Les visages souillés de boue sèche et de sueur semblent rongés par une lèpre visqueuse. Les poils de la barbe en pointes de hérisson, percent curieusement la couche de crasse et de terre qui masquent le visage. Sous les casques ternes et bosselés les cheveux plumeux retiennent des crottes de terre cuite. Les orbites laissent passer des regards de fièvre.
Dandou ressemble à ces guignols comiques qui dodelinent la tête à chaque mouvement du corps. À chaque pas, sa tête oscille, comme une boule folle entre ses deux épaules.
Féroce, Dekoninck ne peut s’empêcher de railler :
━ Zyeute le cabot ! il a sa boule qui s’dévisse.
Le Coniat au visage impassible ricane derrière le pauvre diable. Ce rude breton bâti comme un roc avance d’un pas puissant et régulier.
Quant à moi, je tire sur le sac que nous avons retrouvé à Béthelainville, le cou tendu, comme une bête d’attelage.
J’arrive à Jubécourt sur des jambes fléchissantes et je m’effondre dans une baraque, terrassé par la fatigue et le sommeil.

Samedi 8 septembre. ━ Je n’ai pas vu le jour revenir.

J’ai dormi jusqu’au soir. Près de moi, des hommes jouent aux cartes en buvant du vin.

Dimanche 9. ━ Nettoyage des armes et des effets.

Au rapport, après l’appel des vivants et des morts, on annonce les citations. Je suis sur la liste.
Le soir j’arrose la croix de guerre avec toute l’escouade. Le pinard arrive à pleins seaux. Le Coniat a sa cuite habituelle, un peu plus forte cette fois-ci. Dekoninck y va de son répertoire, chansons sentimentales et guerrières. Les toutes dernières. Soirée très gaie.

Mardi 11 septembre. ━ Il fait à peine jour et la baraque est en émoi.

Vitus « le poisse » Vitus tempête comme un charretier.
━ Alors m... ! y veulent nous faire crever ! On va faire les c... longtemps comme ça ? Non... mais des fois ! On va remonter en ligne ?
━ N’allez pas là-bas ! N’allez pas là-bas ! hurle un énergumène du fond de la baraque.
━ Huuuu... tue-le ! tu-le... le... ! répond un troisième.
━ T’as gueule ! laisse-nous pioncer ! s’il est louf le Vitus y n’a qu’à se faire soigner les méninges.
Et Vitus reprend dans le chahut :
━ Ah ! vous en avez plein le tiroir vous autres. Vous remonterez chez les fritz si vous voulez, moi j’en ai marre. J’ me fais porter raide et j’ me calte à l’housteau. J’ai des hémorroïdes.
━ Ah ! Ah ! des hémorroïdes, s’esclaffe un autre, t’en a de bonnes. Une balle dans la rondelle t’en guérira des hémorroïdes.
Magadoux, l’ordonnance du capitaine, nous confirme que nous remonterons en ligne.

Mercredi 12. ━ Dans la nuit des aéros nous ont lancé des bombes.

Journée de repos.

Jeudi 13. ━ Le 2ème bataillon nous rejoint, il a dû abandonner son cantonnement de Brocourt-en-Argonne trop bombardé.

Même pas tranquille au repos.

Vendredi 14. ━ Sous une forte pluie le bataillon part pour les lignes.

À travers pistes et chemins défoncés, dans la boue et la nuit noire, nous atteignons le camp C déjà fatigués. On a évité Dombasle où tombe du 420.

Samedi 15. ━ Journée passée dans les cagnas du camp.

Ce soir nous relèverons le 87e R. I. entre cote 304 et Avocourt.
Relève pénible dans les boyaux pleins d’eau. En certains endroits la boue liquide atteint le ventre. Pas d’obus, mais pluie fine et froide.
Dans ces fossés fangeux et glacés les jambes tendent tous leurs muscles pour se libérer de l’étau de boue.
Nous atteignons une tranchée de seconde ligne dans un état pitoyable et fourbus. Pas un pouce de peau qui ne soit imbibée et un abri trop petit pour recueillir toute la section. Pas même une pierre pour s’asseoir. Nous nous accroupissons dans l’eau glacée, les chairs molles et froides, pendant que le ciel lourd déverse ses cataractes durant toute la nuit. Je demeure dans cette position jusqu’au jour, grelottant, la tête penchée et ruisselante, les mains engagées dans les manches de la capote.

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