LDE carnet de route p.54 1917
Lundi 5 novembre. ━ La tranchée est bonne, la section occupe un petit abri, peu profond mais solide.
Sur notre droite le Mort-Homme est très bombardé. Dans la journée un agent de liaison du colonel a photographié toute l’escouade et durant la nuit 4 hommes vont placer du barbelé devant la première ligne. Le reste de la section s’occupe à approfondir la tranchée, il s’agit de la tranchée Blond.
Mardi 6. ━ Une brume épaisse recouvre toute la cote 304 et le plateau de Pommerieu.
On peut ainsi parcourir à loisir le champ de bataille. Celui-ci est littéralement raviné, creusé, soulevé, perpétuellement modifié par les bombardements. Les cadavres sont morcelés, déchiquetés, broyés et souvent enfouis.
Dans la nuit, les 4 hommes préposés à la pose des barbelés reviennent affolés. En rentrant dans nos lignes, ils ont été reçus à coups de grenades. Dispersés dans le ravin, ils ont pu se faire connaître après mille précautions et nombreux appels.
La piste qui passe près de nous est arrosée d’obus. De la tranchée nous admirons les superbes geysers noirs qui s’élèvent dans un bruit de tonnerre.
Pendant que je parcourais le champ de bataille, le général de brigade Nérel est passé accompagné par l’abbé Hénocque. Celui-ci a distribué des cigares à mes camarades.
Sous les ordres du caporal Puysalinet, l’escouade creuse pour élargir l’abri. Travail pénible. Les gros blocs de pierre sont hissés par l’escalier et évacués sur le parapet.
Dans la nuit, rafales de 77 sur la piste. Au petit jour, on aperçoit les cadavres des hommes des corvées, surpris par ces tirs nocturnes.
Mercredi 7 novembre. ━ Calme relatif.
Toujours rafales sur la piste. Bombardement vers Avocourt.
Jeudi 8. ━ Bombardement violent sur notre position.
Impossible de mettre le nez dehors. Notre artillerie cogne dur aussi sur les boches. On parle d’un coup de main pour ce soir et par malchance je suis juste de corvée de soupe, la piste sera dangereuse à parcourir.
Avec Wanlin je file vers l’arrière à 9 heures du soir. Toutes les 2 ou 3 minutes une rafale de 105 s’émiette en bloc sur la piste. Blottis dans un trou nous surveillons la fréquence du tir. Dans la fumée d’une dernière rafale nous fonçons têtes baissées. Voici la zone battue et ziou... craouou... la rafale d’un seul coup nous a couché à terre. Je perds mon camarade. D’un bond le file droit devant moi, culbute sur un corps, me redresse nerveusement et rejoins les cuisines d’un trait de course. J’y trouve Wanlin indemne comme moi. Nous chargeons rapidement le ravitaillement, et repiquons de suite vers les lignes. Nous voulons rentrer avant le coup de main, sinon nous risquons le tir de barrage.
Le barrage s’est déclenché à 2 heures du matin. Nous étions de retour 1 heure avant. Les deux artilleries hurlent à la mort avec une frénésie diabolique. La mitraille s’entend du côté d’Avocourt, un concert de grenades l’accompagne. Cela dure une bonne heure puis tout rentre dans le calme.
Vendredi 9 novembre. ━ Aucune nouvelle du coup de main de la nuit dernière.
Il a été exécuté par le 18e bataillon de chasseurs à pied. Grâce au brouillard, nous portons du matériel au P. C. du commandant. La piste est arrosée par du 105 mm, nous passons entre deux rafales, personne d’amoché.
En rentrant à la tranchée, nous apprenons une nouvelle vraiment sensationnelle.
Demain le 87e R. I. nous relèvera et nous quittons la 3e D. I. pour rejoindre une nouvelle Division. On annonce que les Divisions d’ Infanterie sont réduites à 3 régiments et c’est le 128e R. I. qui est désigné pour partir. Nous quittons donc nos trois frères d’armes, liés par les mêmes combats depuis 1914.
Adieu, 87e R. I. , 272e R. I. et 51e R. I. Adieu, camarades de Picardie ! Nous allons rejoindre, toujours dans le même drame, des poilus d’un autre coin de France.