LDE carnet de route p.20 1917
Joutel et Quéhu me font signe et nous appuyons cette fois-ci vers la droite. Un aéro boche qui nous survole lâche une rafale de balles. Devant une sape le sergent Vacher m’engueule.
━ Tu ne peux pas rester à ton poste, sacré bleusard !
Le soir, dés la nuit venue, Vacher fait relever la tranchée dont une partie s’est éboulée pendant le bombardement, ensuite corvée de grenades au P.C. de la Compagnie. À minuit, je prends la garde au créneau du boyau Le Baudy avec Quéhu.
Nuit très noire, calme et sans incident.
Ces trois heures de garde, en flèche vers l’ennemi, oreilles tendues sont oppressantes.
Dimanche 27 mai. ━ Réveil encore brutal.
Je sors de ma niche sous des explosions de grenades. C’est une patrouille boche qui est encore venue faire des siennes. Dans la tranchée, des hommes aux créneaux tirent précipitamment, d’autres lancent des grenades. Beaucoup de bruit mais aucun mal, ni d’un côté, ni de l’autre.
Devant nous, sur le Mont Espin, petit monticule d’où l’ennemi nous surplombe, nos 75 par rafales émiettent le parapet ennemi. Celui-ci répond par du 88 et du 150 sur notre dernière ligne.
Journée lourde. Air sec et poussiéreux. La craie qui flotte dans l’air, sèche la gorge comme pierre au soleil et nos bidons sont vides.
━ J’ paierais cher un quart de flotte, s’écrie Vanlin.
━ Vingt D... ? ajoute Quéhu, si la source n’éto pas si loin, j’iro ben.
━ Depuis un moment on discute sur cette question. On ne pourra boire qu’à une heure du matin à l’arrivée de la corvée de soupe. D’ici là la soif...
━ Allez, les gars, donnez-moi vos bidons !
━ Non, sans blague ! Tu vas à la source Dandou, le visage rayonnant.
━ Donnez vos bidons, dis-je, et vous aurez à boire d’ici une heure.
━ Oh ! Oh ! s’écrie Wanlin, c’est un bleu qui n’a pas les foies, tiens, voilà, les bidons, mais fais attention avant les marais... les boches surveillent le passage depuis le Mont Sepin.
J’emporte 4 bidons et fie vers l’arrière. Je connais bien l’emplacement de la source, à main gauche, avant les marais. Il y a 100 à 150 mètres à parcourir à découvert, c’est le passage dangereux.
Après le P. C. du commandant le boyau s’évase et se transforme en sentier. Un coureur me croise et me crie en passant :
━ Attention l ils vont te tirer du Mont Espin.
Je cherche a découvrir ce fameux Mont. Sur ma droite un gros tumulus masque un bois décharné. Sur le terrain cahotique d’innombrables cadavres achèvent de pourrir. Tout près, des capotes kaki ; les tirailleurs algériens tombés en avril. Spectres osseux noircis par la décomposition, ils tiennent encore les armes dans leurs mains.
Crépitement de coups secs, qui claquent comme des coups de fouet. De petites gerbes de terre dansent follement à mes pieds. L’ennemi m’a vu et m’encadre de son tir. J’accélère et buste tendu, je fonce vers la dépression du marais. La mitrailleuse me suit et s’énerve. Le sentier descend subitement. Je suis à l’abri.
Je trouve la source d’eau fraîche qui coule par des méandres vers le marais ou quelques obus viennent s’enliser. Près de moi, le remous fait remonter un corps humain informe et fangeux.
Retour sans incident, avec les honneurs de la mitrailleuse bien entendu.
À l’escouade, c’est la joie.
━ Ça c’est un bleu démerdard et culoté ! s’écrie le caporal.
━ T’en fais mi, min p’ti vieux ! me dit Quéhu, en me tapotant sur l’épaule ; si t’as pas un jour la croix de bois, t’auras ben la croix de guerre.
J’annonce à mes camarades une bonne nouvelle : j’ai rencontré en revenant, des officiers de Zouaves et de Bat’ d’Af’. C’est donc la relève prochaine. La nouvelle sensationnelle se répand rapidement dans la tranchée et des sections voisines on vient chercher des précisions. Je ne sais