LDE carnet de route p.47 1917
Jeudi 20. ━ Bombardement des deux côtés.
Suis de corvée de soupe. Nuit très noire.
En file serrée, la corvée se dirige par une piste vers le carrefour de la route d’Esnes-en-Argonne à Montfaucon-d’Argonne et du boyau de la Cannebière. Turgis est avec moi, je porte la salade de pommes de terre et les boules de pain. Retour sans incident ; quelques rafales de mitrailleuses et de 77 sur les pistes.
Nous ramenons bien entendu les tuyaux du jour, les tuyaux des cuisines, Rien d’important à signaler.
Vendredi 21 septembre. ━ À la nuit, notre Compagnie reçoit l’ordre de relever la 1re Compagnie en première ligne.
Opération simple ; 150 mètres à parcourir.
À l’arrivée, je prends la garde avec Wanlin à un petit poste, simple trou placé à 50 mètres devant la tranchée. Nous sommes sur le versant sud du ravin des Aunes et l’ennemi sur le versant opposé à 200 mètres. En bas un petit ruisseau coule en murmure étrange. On ne peut concevoir une eau vive en ces lieux de mort.
Nuit claire, silencieuse. Le ciel étincelant est notre panorama nocturne. On entend travailler en face, chez ce peuple de terrassiers. Retour au petit jour.
Samedi 22. ━ La section occupe un immense abri à trois sorties.
C’est un ancien poste de secours allemand, profond de 12 mètres et capable de résister à du 210. Malheureusement les sorties font face à l’ennemi. L’intérieur cimenté est formé de multiples couloirs desservant des chambres à couchettes. Dans la salle d’opération du matériel de chirurgie et des médicaments gisent dans tous les coins. Nos prédécesseurs n’ont pas tout pillé. Nous ramassons évidemment notre part et à côté de moi l’aide major se bourre les poches de médicaments avec l’espoir de les vendre à son potard à sa prochaine permission.
J’empoche 3 boîtes d’ampoules de morphine, histoire de faire comme les autres.
Dans un coin de l’abri, une source d’eau potable a été aménagée et une pompe à bras permet d’évacuer le trop plein du puisard.
Dehors la tranchée est très évasée, mais profonde. On ne peut y rester le jour, car du versant opposé les guetteurs allemands peuvent nous voir.
Sur notre droite on distingue le ruisseau des Forges qui descend de Montfaucon. Au carrefour des deux ravins, une poussière de maisons : les villages de Malancourt et Haucourt.
Au petit jour je suis de garde à l’entrée de la sape et j’entends nettement les Allemands parler et creuser. Il semble que le brouillard qui inonde le ravin amplifie les voix.
Ici, notre position est précaire, notre gauche est complètement en l’air, la tranchée ne se poursuivant pas. La seconde ligne devient première ligne entre notre position et les défenses d’Avocourt. Aussi devons-nous nous couvrir par 3 petits postes ; devant nous, sur notre gauche et derrière nous.
Devant nous c’est le PP 1, à gauche c’est le PP 2, et derrière le PP 3.
À la nuit, Vacher me désigne avec Boquet, Bréhan et Dekoninck pour une patrouille.
À 9 heures du soir, les 5 hommes sont dans la tranchée, prêts au départ. Tenue : veste, revolver au poing et 2 grenades.
Un ordre arrive du capitaine : interdiction de sortir ce soir. On craint un coup de main de l’ennemi.
Vers 10 heures, l’ennemi déclenche sur notre tranchée un violent tir d’artillerie, mais notre droite est nettement plus marmitée.
Barcelot fait sortir toute la section ; hâtivement les hommes s’égrènent dans la tranchée, grenades en mains. Par rafales serrées, des 88 foncent sur nous, émiettent les parapets ; à n’en pas douter l’ennemi cherche les entrées de l’abri.
Barcelot hurle :
━ Demandez le barrage !
Je lance deux, puis trois fusées rouges. Lentement, comme à regret, les 75 jettent leurs cris rauques, et peu à peu notre artillerie s’anime, comme au réveil d’un lourd sommeil. En quelques instants le secteur est déchaîné.