LDE carnet de route p.28 1917
À droite, à gauche, près de la grappe humaine fondue dans la même angoisse, des masses de terre et de pierres comblent peu a peu le boyau. À ma droite, sous la pression d’une explosion, la paroi s’incline et d’un seul coup s’écroule. Juste sur nos têtes, un coup de pioche ouvre un cratère fumant dans un bruit épouvantable. La terre coule dans mon cou entraînant des vapeurs suffocantes.
━ On met les bouts ! hurle Dandou.
━ Dans le boyau à gauche il y a un gourbi.
━ On y va ?
━ On y va. Allez hop I
Derrière son caporal l’escouade s’élance dans la fumée, enjambe des talus frais, saute des entonnoirs, trébuche, perd la direction. Nous tournons en rond comme un troupeau affolé sous les coups terrifiants de l’orage. Les obus piochent, fouillant la terre, crachent le fer et le feu... C’est une danse diabolique.
Un boyau. J’enjambe un cadavre et culbute dans un escalier.
━ Vingt D... y a pas d’amochés ?
━ J’ sais pas. Y manque Dekoninck.
━ Tiens, le v’ là, Dekoninck.
Celui-ci comme un bolide fonce dans la sape.
━ Allez ! y a le lieutenant qui vous demande. Y vous demande de suite et tous. Faut revenir à la tranchée, répète Dekoninck nerveusement.
━ Non ! mais des fois ! y est pas louf le lieutenant ? Y’ a qu’à y aller lui !
━ Il y est lui. Il vous attend, moi j’ m’en fous, j’y vais.
Nous sommes repartis à travers la fournaise que nous venions de quitter. Quel grabuge ! Plus de carrefour. À coups de reins et de jarrets on franchit les cratères béants qui remplacent le boyau. Un morceau de tranchée encore debout nous reçoit.
Debout, dans le vent d’acier, le lieutenant Barcelot nous apostrophe :
━ Salauds ! abandon poste... ennemi !
Soudain Quéhu bondit sur ses jambes, s’élance et disparaît dans la fumée en criant :
━ J’en ai une
J’ai eu le temps de voir dans un éclair ; une main pendants à demi sectionnée.
Depuis ce matin, le 1er bataillon a la garde de ce coin de la côte 290 à 1600 mètres au sud-ouest de la côte 304. Celle-ci se profile sur notre droite. Derrière nous le ravin de Pommerieu dit ravin de la mort. À gauche le 2e bataillon occupe les lignes sur le plateau de Pommerieu coupant la route d’Esnes à Haucourt et donnant la main sur sa gauche aux défenseurs d’Avocourt.
Les 1re et 2e Compagnies occupent la tranchée du général Bouchez, face à la première ligne ennemie. Cette dernière était, il y a encore quelques jours, notre propre première ligne. Elle a été enlevée à nos prédécesseurs. Aussi, le boyau de Californie qui débouche du carrefour et qui la desservait, va chez l’ennemi.
À ma section échoit la garde du barrage de ce boyau.
À la nuit, je suis placé en qualité de grenadier V. B. au barrage avec Wanlin. Ce barrage est à l’image de la défense laissée par nos prédécesseurs, c’est un talus de mottes de terre et de pierres qu’un coup de talon abattrait sans peine. Il est situé à 25 mètres en avant de la tranchée. Nous n’avons aucune précision sur la position du barrage adverse.
La nuit venue rapidement, voile l’étroit horizon que nous avons sous les yeux. Le calme est revenu et les fusées nombreuses sillonnent le ciel.
Derrière nous une ombre glisse et avance.
Bougez pas, les gars, je vais essayer de reconnaître le barrage boche.
Dersigny enjambe la petite murette, saute de l’autre côté du boyau et pistolet au poing disparaît.
━ Veillez bien ! Vous avez un petit poste à votre droite, s’il y a du pet, alertez la tranchée, mais ne bronchez pas pour moi.