LDE carnet de route p.58 1917
21 décembre. ━ Exercices.
Sur les petits coteaux qui dominent Thonnance-lès-Joinville, nous jouons à la petite guerre, pour ne pas oublier l’autre. Je suis à nouveau désigné comme fusillier-mitrailleur, exercices de tir.
Samedi 22. ━ Tirs au F.M. sur la butte, tir toujours couché.
Malgré les deux poignées, il est difficile de maintenir l’engin dans la ligne de tir, les reculs sont violents et le canon tend à lever le nez.
Évidemment ce n’est pas la précision de la mitrailleuse, mais c’est pour une escouade un accroissement de feu considérable.
À midi, déjeuner à Joinville ━ petite ville gaie et accueillante ━ avec Ilette et Coutant. Ce dernier vient du 107e R. I., il est d’origine Blayaise.
Gros événement à l’escouade, notre caporal Puysalinet nous quitte. Il est désigné pour Salonique où on y relève les troupes qui y sont depuis un an. Nous perdons un excellent caporal. Puysalinet est un magnifique soldat, solide, brave et juste. Il nous a tous embrassé et l’escouade a noyé sa douleur dans le vin. Le Coniat quitte aussi la section et même le front ; il retourne à son métier, celui de marin. C’est un homme dur, solide et impavide qui s’en va ━ il était par contre féroce aux partages du pinard et de la gnôle.
Le caporal Billan, autre breton, prend la tête de notre escouade ; c’est un garçon à l’esprit ouvert, très chic au feu comme à l’arrière.
Dimanche 23. ━ On se promène ; la campagne parait toujours belle et colorée, et pourtant c’est l’hiver, mais quelle harmonie dans le paysage.
Quelle douceur dans l’air ! Quelle paix à côté du monde apocalyptique que nous avons vu !
À 10 h., messe à la petite église du village et le soir le régiment est informé qu’ il embarquera demain en chemin de fer.
Lundi 24 décembre. ━ Embarquement dans des wagons à bestiaux à 8 h. du soir à Rupt.
Quarante hommes par wagon. On se case, on se tasse et bientôt, dans le wagon fermé, tous les hommes s’endorment roulés dans la paille.
Nuit de Noël dans un wagon à bestiaux, mais nous sommes encore mieux que l’ Enfant Jésus.
Le rythme saccadé du wagon s’est peu à peu évanoui et les vieux cantiques résonnent en ondes sonores dans ma tête alourdie. Je revois la messe de minuit, à La Réole, avec ses mille lumières. J’entends l’allégresse des chants et la douceur des orgues. Là-bas, à cette heure-ci, mes parents, mes amis, supplient le Sauveur de regarder cette terre où Il a voulu souffrir pour y faire régner l’amour et la paix.
Mardi 25. ━ Au matin, le train passe à Toul.
Il neige. Paysage de Noël avec ses tapis blancs et ses sapins coniques argentés. À 5 h. du matin nous débarquons à Vézelise en Meurthe-et-Moselle.
La neige tombe en flocons lourds et serrés. Tout le pays est drapé de blanc.
━ Colonne par quatre ! En avant... marche !
━ Pas de route !
La longue théorie des fantômes blancs glisse sur une ouate chantante. Peu à peu la neige alourdit le sac et la marche se poursuit à la même cadence.
À Ceintrey arrêt pour faire chauffer le jus.
À 5 h. du soir le bataillon est à Velle-sur-Moselle, village de 800 âmes, peu hospitalier. Nous avons couvert 25 km.
Mercredi 26 décembre. ━ Repos toute la journée.
Le froid est si vif, la neige si abondante que je ne quitte pas la paille de la journée. Enroulés dans la couverture, sous la capote et la toile de tente, serrés comme des sardines, nous réussissons à nous défendre contre le froid.
Entre voisins on fait des parlotes tout en restant immobiles comme des momies.
━ Contre ce sacré froid, y a qu’à en écraser, jette Drouin, sous sa couverture.
━ C’est facile à dire, répond Peynaud, moi j’ai les panards gelés.
Chacun a amoncelé sur son corps le matériel disponible : paille, godillots, sac, outils. Il y a certainement -10° dans notre grange.
La moustache se prend en glaçons et demain il n’y aura personne d’ enrhumé.