LDE carnet de route p.19 1917
Enfin ! des tranchées plus profondes. Les fusées éclatent sur nos têtes et c’est la tranchée de première ligne.
Le caporal Dandou nous accueille.
Au bruit de la corvée, des hommes assoupis se sont dressés. On m’offre gentiment une niche dans la paroi du boyau et en chien de fusil je m’endors exténué par la fatigue et l’émotion de ma première nuit au front.
Vendredi 25 mai. ━ La matinée est douce, le soleil jette ses premières lueurs sur la terre blanche du boyau.
Appelé par un sergent, devant une sape, le capitaine Malgarny me reçoit :
━ C’est vous le jeune ? C’est bon, je compte sur vous. J’espère que vous ferez votre devoir comme les autres.
━ Comptez sur moi, mon capitaine l
Je fais claquer mes talons de fer et rejoins mes camarades.
Le sergent Vacher commande ma demi-section, le sergent Dersigny, dit, Popol, commande l’autre demi-section.
Voici mon escouade :
Caporal Dandou, classe 12, homme instruit et sympathique, originaire du Raincy. Une fois blessé.
Joutel, classe 16. Solide paysan Normand.
Galais, classe 12, Charentais. Une fois blessé ; au front depuis 14.
Quéhu. Classe 11. Au front depuis le début. Plusieurs fois blessé. C’est un Picard.
Wanlin. Classe 15. Ardennais. Très chic type.
Enfin, un Breton dont je n’ai pas retenu le nom. C’est le plus vieux et il ne parle jamais.
Si on excepte le caporal, ce sont tous des paysans, solide, tenaces, à la tête froide. La piétaille française.
Le boyau occupé par la Compagnie est de première ligne, à 300 mètres des boches. Il est profond mais très semblable au lit d’un ruisseau de sable.
Les parapets sont bosselés et fraîchement remués. Sur la terre pas la moindre trace de végétation, tout est mouvementé et meuble.
Des niches creusées dans les parois du boyau servent d’abris individuels. Elles ressemblent aux tombes des chrétiens des Catacombes. On y est protégé de la pluie, du soleil et surtout du passage des corvées. Sacs, musettes, bidons, capotes sont suspendus aux manches des baïonnettes plantées dans les parois du boyau. Cela n’a plus le caractère guerrier qu’on imagine à l’arrière, mais ressemble à un marché de bric a brac.
Les poilus qui ne sont pas de corvées ou de gardes sont accroupis et jouent aux cartes. Ils semblent se désintéresser du violent bombardement que les boches exécutent avec du gros calibre sur notre gauche, du coté du boyau Lebaudy occupé par la 3e Compagnie. L’ennemi est nerveux. Cinq patrouilleurs sont venus ce matin jusqu’au barrage de sacs à terre de ce même boyau. lls nous ont jeté des pétards à manche et deux d’entre eux ont été abattus par la défense du barrage.
Le soir à 9 h. 30 on me désigne pour la corvée de soupe. Même trajet qu’hier. Pas d’incidents, un peu d’émotion au passage des passerelles arrosées d’obus. J’ai suivi les anciens.
Retour à 1heure du matin. On dîne.
Samedi 26 mai. ━ Réveillé par de violentes explosions, je sors précipitamment de ma niche.
Un gros obus s’écrase à quelques mètres du parapet. Souffle chaud, fumée âcre, pluie de moellons.
Je file tête baissée vers mes camarades. Une rafale d’obus balaie tout devant moi. Dans la fumée des ombres fuient. Je trouve un abri chez des mitrailleurs. Revenons quelques instants plus tard. Personne à l’escouade n’a été touché.
L’après-midi, nouvelle alerte, le boyau Lebaudy est encore marmité et les rafales se rapprochent.