LDE carnet de route p.56 1917
Lundi 19. ━ Vers 2 heures du matin, l’ennemi déclenche sur nous un violent tir de barrage.
Nous sommes en seconde ligne, aussi nous encaissons le gros du marmitage. Des mitrailleurs en batterie près de nous viennent s’abriter sous notre tôle. Sous la violence des explosions, elle se soulève comme feuille morte et c’est l’avalanche de fer, de pierres, de terre. Le fossé peu à peu se comble, les souffles chauds balaient nos visages, contractent la respiration, oppressent la poitrine.
━ Vingt Dieu ! On va y passer à ch’ t’ heure, s’écrie le mitrailleur Quénéhin.
━ Ah ! quel putain de secteur, s’exclame le Bordelais Nicolas.
Et les éclatements qui déchirent les tympans, les coups de pioche monstrueux qui menacent de nous engloutir se succèdent sans répit. Notre tôle vibre et sursaute comme si elle partageait notre angoisse.
Enfin l’orage cesse, et il nous semble de suite que le bonheur est avec nous. Avant que le jour n’apparaisse, nous rejoignons la section avec notre morceau de tôle, les jambes raides, transis de froid.
La journée se passe accroupis dans la boue collante et glacée sous un bombardement impitoyable qui achève de nous écraser. C’est une pluie de fer, de pierres, de terre, de boue et d’eau. La nuit est revenue et nous a retrouvé dans cette position, tandis que la pluie froide pénètre les chairs gluantes. La petite tranchée fond lentement et coule en boue liquide. Notre état est vraiment misérable, le ruissellement boueux est entré par le cou et circule à l’intérieur de mes vêtements.
La nuit se passe ainsi, assis dans cette vue fluide sous le cataplasme glacé de mes vêtements fangeux. Nuit très pénible sans sommeil possible. Nuit de désolation. A chaque instant, les obus qui s’acharnent sur nos positions, menacent de tout anéantir. Trois cadavres s’enlisent lentement dans la terre liquéfiée, les blessés ne peuvent plus s’arracher à l’élément qui les aspire et nous restons comme des bêtes muettes, insensibles à leurs appels.
Plusieurs fois dans un délire de désespoir j’ai jeté des cris incohérents. Je grelotte comme un fiévreux, heures vraiment cruelles.
À 5 heures du matin, la corvée de soupe arrive. Tout est froid. Je bois toute ma part de gnôle. J’ai bu comme une brute et j’ai senti un peu de chaleur gagner ma carcasse.
Mardi 20. ━ Journée plus calme mais pluie continuelle.
Sur notre droite, vers le bois Le Chaume, bombardement violent. Nous sommes transformés en statues de boue. À la nuit corvée de soupe. Je pars à 3 heures du matin avec Wanlin et Joutel. Nuit d’encre. Sur la piste glissante, nous avançons, nous tenant par le ceinturon. je suis en tête. Subitement mon pied flotte et je culbute tête la première dans le vide. Je suis rentré jusqu’aux épaules dans un bain visqueux qui lentement me happe. Par mes pieds restés en l’air, mes deux camarades m’arrachent de cette position où malgré tous mes efforts je n’arrivais pas à maintenir la tête hors du bouillon. Cette fois-ci j’ai mon compte, de la tête aux pieds je ruisselle de boue et la corvée continue.
À 6 heures du matin, nous étions de retour. Je n’ai jamais connu une corvée aussi dure. L’horrible boue nous dispute à l’obus.
Mercredi 21. ━ La pluie tombe toujours, sans arrêt, fine, serrée et froide.
Les obus arrivent par rafales. Recroquevillés dans notre fossé où l’eau arrive à certains endroits à mi-jambe, nous attendons la relève. Cette attente est déprimante. Le soir l’ennemi fait un coup de main sur la 1re Compagnie, il emmène 2 prisonniers et tue le sergent Caron, de la C. M. I.
Jeudi 22. ━ L’ennemi a attaqué sur notre droite.
Toute la journée son artillerie n’a cessé de nous marmiter. Le brouillard est très épais et on en profite pour se désankyloser les jambes. Coup de main de l’ennemi sur notre gauche. Il a échoué, la pluie a cessé de tomber. Demain relève.