LDE carnet de route p.52 1917
Samedi 20 octobre. ━ Temps toujours brumeux, mais avant midi le soleil parvient à crever la croûte blanche et la masse crémeuse s’écoule en ondulant vers le ravin des Forges.
Dans la journée observation, le soir corvée de soupe.
Au retour on me désigne pour une patrouille. Vacher en prend le commandement. Nous sortirons à 4 hommes : Deckoninck, Bocquet, Bréhan et moi. Tenue : veste sans cartouchière, pistolet automatique, musette avec 5 grenades OF. Départ à 3 heures du matin. Les 3 petits postes sont alertés.
Ordre de marche, en losange. Bocquet est en tête, moi à droite, Bréhan à l’angle gauche et Dekoninck à l’arrière. Vacher sera au centre, distance 4 mètres, car la nuit bien qu’ étoilée est très noire. Sitôt le PP 1 passé on avancera en rampant, on devra éviter de se perdre de vue de manière à suivre les gestes de Vacher et surtout ne pas tousser.
Nous franchissons les 40 mètres qui nous séparent du PP 1. Un signe aux deux camarades qui veillent et la reptation commence.
Il est difficile de se tenir à la distance fixée car le sol est effroyablement crevassé, aussi instinctivement nous serrons sur Vacher.
Minutes longues. Tension de tout l’être.
On avance vers le fond du ravin à l’allure de tortues et ma respiration est oppressée comme après un gigantesque effort. Par moment une fusée chuinte dans l’air, nous nous immobilisons sur le sol, fondus dans la terre comme des cadavres. J’avance sur le ventre, usant du coude gauche et des deux jambes, mon bras droit allongé, le pistolet prêt à faire feu en cas de rencontre nez à nez.
Vacher fait un signe, il faut obliquer à droite et me voici en pointe de la patrouille. On entend très nettement la cascade, nous devons être à une vingtaine de mètres du ruisseau et guère éloigné des postes boches. Une pause de quelques minutes et Vacher me rejoint pour mieux écouter. Rien, pas un bruit. La petite cascade égrène son chant monotone. Un bruit... nous avons entendu quelqu’un tousser légèrement... là... près du ruisseau. Le cou tendu, l’oreille cherche absorber quelque chose. Du silence...
Que du silence. Vacher avance et coule comme un ver près de moi. Je le suis. Mon nez heurte un objet mou, c’est une botte de cuir. J’avance et longe un squelette, c’est un boche qui n’a plus que les os. Son fusil est près de lui. Lentement, le sergent caresse l’avant-bras. J’entends un bruit sec et le bracelet montre a cédé. Le sergent s’est payé la corvée. Encore une pause, l’oreille tendue. Le PP ennemi est certainement de l’autre côté du ruisseau à portée de grenades ; c’est certainement lui qui a toussé. Je ne distingue que le bruit de mon cœur qui bat avec force. Jamais je n’aurai pensé qu’il puisse cogner de la sorte.
Vacher fait signe de remonter, il doit freiner notre marche qui prenait une allure accélérée. À mesure que la tranchée approche, ma respiration se détend et mon cœur reprend son rythme normal. J’éprouve une véritable joie de revenir en première ligne et loue Dieu de sa miséricorde.
━ Halte-là ! Qui vive ?
━ Hé m... c’est nous, la patrouille.
━ Quelle patrouille ? N’avancez pas ou je tire.
Et nous distinguons la voie de Dersigny qui ajoute :
━ Faites-vous connaître ou je tire.
━ Non, mais des fois ! T’es pas cinglé ? répond Vacher : Vacher et la patrouille.
Pendant cet incident, nous nous sommes aplatis dans un trou, n’ayant nulle envie de nous faire massacrer par les nôtres.
Dans la tranchée nous trouvons Dersigny furieux parce que nous ne lui avons pas donné le mot de passe.
━ Qué qu’ ça fou, s’écrie Dekoninck, ce qui compte c’est qu’on a ramené sa bidoche.
En rentrant à la section nous apprenons que le lieutenant Barcelot nous a quitté pour suivre un stage à l’arrière.
Nous le regrettons, c’est un homme de valeur, d’un courage extraordinaire. Élève de l’École des Mines.
Le lieutenant Pouey, de la C.M.I., le remplace en attendant son retour.
Violent bombardement sur la droite.