LDE carnet de route p.26 1917
Lundi 2 juillet. ━ À 6 heures du soir, ordre de lever le camp.
Les tentes sont pliées, les faisceaux rompus. On attend l’arme au pied.
Contre-ordre. Nous reformons les faisceaux et remontons les tentes.
━ Ordre... contre-ordre ... désordre..., bougonne quelqu’un.
Mardi 3 juillet. ━ Cette fois-ci le départ est bon et prenons possession du camp de Béthelainville à 3 km. sur notre droite.
Nous avons des cagnas, mais perdons le charme de la pleine nature.
Le camp de Béthelainville est à 4 km. au nord de Dombasle-en-Argonne, sur la lisière de la forêt. Il domine la route qui monte à Montzéville. Il sert de réserve ou de lieu de passage aux divisions qui occupent les secteurs de la côte 304 et du Mort-Homme.
Une centaine de sapes creusées à 2 mètres de profondeur dans un sol rocheux, abritent un régiment à raison de une section par sape.
Ce camp est occupé en permanence, par une armée gigantesque de rats énormes et audacieux. Les intrus, c’est nous. La nuit, ils sortent de leurs trous, envahissent les abris, patrouillent sur nos ventres, visitent nos musettes, roulent et bondissent sans s’émouvoir des godillots que les dormeurs énervés leur lancent à tour de bras. Dehors, dans la nuit, des poilus chassent ces monstres repus avec des lampes électriques.
Le secteur est nerveux. Un tortillard poussif traverse le camp et monte continuellement des wagonnets d’obus jusqu’aux batteries. Sur la route, va-et-vient de voitures, d’ambulances, de caissons, de motos.
Dans le camp, une « coopé » vend du tabac des pipes, du vin, de l’alcool de menthe.
Vendredi 6 juillet.━ Nous monterons ce soir en ligne.
Nous relèverons le 346e R. I. à la Côte 304.
Après plusieurs jours de combat, l’ennemi s’est emparé de presque toute la fameuse côte.
On raconte que le régiment qui l’occupait conversait avec ceux d’en face. On échangeait paraît-il d’un poste à l’autre, des compliments, du pain, du tabac. Un véritable armistice présidait à ces manifestations d’amitié. Puis un beau jour, une attaque brutale bouscule toutes nos défenses.
Légèreté du Français, perfidie du Germain seront toujours vraies.
━ Alors vous comprenez, nous explique le sergent, faut pas faire les couillons !
━ Bon ça va ! on leur dira merde à tes Frigolins, rétorque Drouin.
À 9 heures du soir, par une nuit sans lune, les compagnies quittent Béthelainville, une par une.
Jusqu’au P. C. de la D. I. rien de particulier.
Le vaste boyau de la Cannebière aux parois perpendiculaires serpente à travers une forêt sans souillure.
Au P. C. de la Brigade, quelques gros entonnoirs indiquent un repérage précis. Ici la forêt a souffert, les arbres tendent vers le ciel des membres décharnés et tourmentés.
Plus loin, le boyau pénètre dans un ravin humide. Deux rangs de gabions forment les parois. Voici une route, nous la coupons à angle droit. Contre le talus, adossés à une côte que nous allons franchir, les P. C. du colonel et le poste de secours.
La nuit est noire et nous entrons dans la zone ravagée. Plus de végétation. On sent une terre meurtrie par l’acier et les gazs. À mesure qu’on avance, le boyau s’évase et franchit une crête à travers un terrain mille fois retourné.
━ Attention au pont !
On se baisse. Ici le boyau passe sous une route.
De la côte d’en face, les fusées se détachent et en retombant en courbes lumineuses. On découvre ainsi la silhouette de la fameuse côte et on discerne le ravin que nous allons traverser.
━ Tiens vise un Frigolin !
Rapidement un prisonnier nous croise suivi d’un poilu l’arme à la main. Il file vers l’arrière sans s’émouvoir des quolibets qu’il soulève sur son passage.