LDE carnet de route p.38 1917
d’un camarade voisin, aussi à gauche, un groupe forme troupeau autour du Lieutenant.
Peu à peu la progression nous échauffe. Le défaut de réaction de l’artillerie ennemie et l’absence absolue de son infanterie pulvérisée, blutée avec la terre, nous rassurent. Pas l’ombre d’un boche sauf quelques cadavres déchiquetés, mêlés à des poutres calcinées, le tout à demi-enfoui sous la terre.
Enfin ! des prisonniers... Ils passent rapides comme des fuyards, bras en l’air, titubants, hébétés. Nous avançons toujours sans aucune perte. L’effroyable rouleau de fer qui avance devant nous, nous ouvre le chemin, broyant tout devant nous.
La deuxième ligne est certainement dépassée. Toujours rien. Pas traces de défenses ni de vie.
Très légers, des sifflements doux et prolongés passent dans l’air. Des balles. Elles passent hautes et foncent vers l’arrière. Nous atteignons le versant nord de la Cote. Le terrain s’affaisse brusquement. En bas un ravin. Est-ce le ravin des Forges ?
Les premiers hommes se sont engagés sur la pente, lorsque Vacher, d’un signe arrête la section. Ici quelques éléments de tranchées subsistent. Nombreux cadavres, tous déchiquetés.
Maintenant les balles sifflent rapides et sont redoutables. Les hommes se couchent ; d’en bas l’ennemi doit nous voir, bien que le ravin soit submergé par une mer de fumée et de poussière.
Comme des météores des obus foncent sur nous. Ils viennent de nos arrières.
━ C’est le 75 qui tire trop court ! hurle quelqu’un.
Cette fois en plein, des corps culbutent... des cris. Remous, reflux vers l’arrière.
━ Des fusées, des fusées ! lancez des fusées !
Des hommes affolés s’égrènent dans les trous.
J’accroche mon tromblon et lance vers le ciel successivement 3 fusées à 3 étoiles.
━ Allongez le tir !
Là-haut des dizaines d’aéros vont-ils les voir pour transmettre. Joutel accroupi cherche à allumer un feu de Bengale, mais son briquet ne marche pas.
Obus et balles se rejoignent sur notre position. Avons-nous avancé trop vite ? Pourtant à gauche on reconnaît des unités amies du 121e R.I. et à droite le 272e R.I. est sur notre ligne.
Ordre de repli : 50 mètres en arrière.
Le jour éclaire maintenant le champ de bataille qui peu à peu se dégage de la fumée. Partout des débris humains. Pas de cadavres, mais des membres, des morceaux de membres, des os dans de vieux tissus, des tibias blanchis dans ses bottes, des têtes sanglantes ou des crânes lisses.
Nous sommes sur un ossuaire qui s’enrichit depuis un an de fragments nouveaux.
La section s’installe dans un élément de tranchée aux trois-quarts comblé ; un petit abri encore intact sert de P.C. au Lieutenant.
L’artillerie ennemie réagit maintenant avec violence. Par rafales soutenues les obus foncent sur notre coin. L’ennemi semble connaître admirablement les positions que nous occupons.
━ Allez vite ! Prenez vos outils et creusez ! ordonne Vacher.
Avec fureur nous piochons, creusons, soulevons la terre pour nous enfoncer. L’ennemi accélère son tir. Les explosions rejettent plus de terre que nous en enlevons, mais avec une ardeur désespérée nous creusons toujours en luttant contre l’envahissement. Ma pioche est entrée, molle dans de la viande. Un cadavre. Je tire. Une étoffe grise, sale... de la chair noircie. À trois, nous soulevons le machabée et le plaçons sur le parapet. Il servira de pare-éclats, et les obus foncent toujours sur nous et nous creusons toujours une terre qui dégage une odeur atroce.
Soudain des souffles brûlants, successifs, nous aveuglent et nous terrassent. Des cris déchirants. Je suis face contre terre. Un des nôtres a été jeté hors de la tranchée, en loque pantelante. L’heure du sacrifice est arrivée. Mal protégée, la section encaisse maintenant les coups directs d’un tir impitoyablement précis.
À plat ventre dans ce fossé évasé, haletants, crispés, agrippés à la terre, nous attendons la fin