LDE carnet de route p.48 1917
Si le coup de main est pour nous, l’ennemi sera bien reçu. Pour le moment la section n’a pas écopé et bien que les 88 s’acharnent sur notre position, les hommes gardent bien leur sang-froid. Quel gaspillage d’obus faut-il pour obtenir un seul coup au but ! Un seul de ces projectiles qui s’égrènent autour de nous suffirait pour anéantir notre groupe.
Enfin rien de grave n’est survenu et tout est rentré dans le calme. L’ennemi n’est pas venu.
La même comédie se renouvelle au matin, ce qui maintient en alerte toute la section. Le ciel étoilé s’éclaire en blanchissant et le silence reprend possession du secteur.
Dimanche 23. ━ J’ai pu dormir dans ma couchette jusqu’à 2 heures de l’après-midi.
J’espérais poursuivre ce repos, mais à la suite d’une discussion violente Vacher me fixe un travail dans la tranchée sitôt la nuit venu. Me voici donc occupé à déblayer le boyau ébréché par le bombardement d’hier. Avec pioche et pelle j’assure mon travail consciencieusement lorsqu’une foudroyante rafale de 88 s’émiette autour de moi. Dans le noir, des flammes rouges. J’ai lâché ma pelle et plonge dans l’entrée d’une sape voisine. Celle-ci est à demi comblée et entraînée par une coulée de terre, je glisse jusqu’au fond du gouffre. Suis-je enterré vivant ? Là-haut un petit orifice laisse filtrer une faible clarté. À tâtons, au milieu d’éboulis, je découvre l’entrée d’un couloir. J’arrive ainsi dans une petite salle éclairée par une bougie où le sergent Dersigny joue à la manille avec 3 poilus. C’est l’abri de la section voisine. À minuit je rejoins ma section. Dans la tranchée, une mitrailleuse a été détruite par un 88.
De minuit à 6 heures du matin, je prends la garde au PP 3 avec un camarade. Nuit belle et froide. Je me distrais à compter les étoiles. Retour à l’abri au petit jour. L’ennemi cherche visiblement à atteindre l’entrée de notre abri. Si un 88 y pénètre, quel grabuge !
Lundi 24. ━ Toute la journée l’ennemi bombarde la position Lorraine sur notre droite, par gros calibres.
Ici c’est toujours du 88. Obus redoutables, ils arrivent sur nous avant la détonation du départ, véritables météores rageurs comme le 75.
À 7 h. 1/2, garde au PP 2 jusqu’à minuit. Nuit froide et claire. Premières gelées d’automne. Le ciel scintillant arrose l’ombre de la nuit d’une lueur bleutée. Je porte toute mon attention sur le fond du ravin. L’oeil ne peut rien discerner mais le moindre bruit déclenche les réflexes du veilleur. Mon compagnon le vieux Turgis n’est d’aucun secours, il est recroquevillé au fond du trou et s’efforce de mettre sa tête à, l’abri des éclats d’obus qui forent le sol autour de nous. L’ennemi tape toujours sur Lorraine, l’air vibre et siffle.
À minuit nous sommes relevés par deux camarades et à ce même moment le marmitage s’étend sur notre position. Toute la section est dehors en alerte. Barcelot nous égrène sur un front de 30 mètres.
Je lance une fusée rouge, puis une seconde ; le barrage se déclenche encore avec retard, nos artilleurs doivent dormir. Par paquets, des 77, 88, 105 foncent sur notre tranchée. La terre tremble et gémit, l’air vibre avec fracas, les oreilles choquées par les explosions successives baignent dans un océan sonore. Lueurs rouges, fumées âcres, pluie de fer et de moellons. Affolés, les petits postes rentrent précipitamment. Barcelot bondit sur le parapet et revolver au poing les renvoie à leur trou.
Sur notre droite, des grenades crépitent, les mitrailleuses rentrent dans le concert. À n’en pas douter on se bat du côté de Lorraine. Courbés sur le parapet, anxieux, grenades en mains, nous attendons l’ennemi qui ne vient pas, puis c’est le grand silence de la nuit. Du ravin, vers Haucourt un appel prolongé et lugubre s’élève :
━ Brancardiers français ! Brancardiers français !
Au matin, nous apprenons que l’ennemi a fait un coup de main sur notre droite et a ramené 12 des nôtres.
Mardi 25 septembre. ━ Journée ensoleillée.
Repos dans l’abri. On joue aux cartes à la lueur des bougies. Un maladroit a laissé rouler une caisse de grenade dans l’escalier. Panique.
Nous nous jetons à terre, les mains sur les yeux. Par miracle aucune n’a explosé.