LDE carnet de route p.35 1917
Dimanche 12 août. ━ Journée magnifique.
Quelques obus vont vers l’arrière rappeler qu’on est toujours en guerre.
L’après-midi, partons 4 et un caporal à la réparation de la tranchée de Toul. Du camp des Romains l’ennemi a repéré notre présence et nous envoie une salve de 105. Panique. Abandonnons les outils et fuyons vers les abris.
Ici trois malheureux obus nous chassent comme des lièvres. À Verdun l’orage de fer rend vain un pareil réflexe. Dans un secteur de repos, le poilu répugne à faire la guerre. La peur est plus difficile à maîtriser sous un ciel pacifique que dans le chaos d’une bataille.
Le soir, notre canon de 37 tire sur le fort du Camp des Romains. Étrange ce petit canon ; il pette sec avec son petit obus rapide. Capable de perforer du blindage, il est inopérant contre des tranchées.
Lundi 13. ━ Il pleut et l’orage gronde.
Avec Joutel je visite le village des Paroches enchâssé dans nos lignes, sur notre main gauche. Grimpons à l’observatoire du clocher. Vue magnifique sur la plaine de la Meuse. Dans les rues de Saint-Mihiel les civils vaquent à leurs occupations.
Sur nos lignes quelques 105 s’effritent. À notre retour, le capitaine Malgarny nous attend pour remettre à Joutel la Croix de Guerre gagnée à cote 304 lors du raid de la patrouille ennemie.
Notre caporal, vraisemblablement jaloux, le complimente en ces termes :
━ T’as à présent un brevet d’assassin.
Cette saleté nous met en rogne et l’escouade lui assène quelques dures vérités. Quel salaud !
Mardi 14. ━ Après le jus du matin chauffé sur de l’alcool solidifié, corvée au boyau des Limousins pour creuser des puisards.
Travail à la tâche. Pelles et pioches nous sont aussi familiers que les fusils. Le soir on ramène des caillebotis du P. C. du Commandant.
Nuit calme et claire. Veille pour le principe.
Nous avons appris que demain le 9e Chasseur à cheval viendra nous relever, à pied bien entendu.
À l’escouade on a rouspété un peu avec raison on espérait bien rester un bon mois dans ce lieux paradisiaque.
Au 9e Chasseur j’ai rencontré l’autre jour, à Marcaulieu, mon camarade d’école libre, Peyrebrune. Le front est vaste et cependant il n’est pas rare d’y rencontrer un « pays ».
Mercredi 15 août. ━ L’ennemi nous expédie quelques 105 pour saluer notre départ.
Ce secteur de Saint-Mihiel est vraiment exceptionnel.
Pour passer des messages à travers nos lignes les allemands utilisent des chiens dressés par les services d’espionnage. Une de ces bêtes a été repérée dans la brousse par un de nos postes du côté des Paroches.
Le chien a senti « l’ennemi » et a disparu dans les hautes herbes.
Dernière journée dans ce secteur.
L’escouade ne peut plus supporter son caporal. Ce pauvre homme qui a vraiment la tête un peu détraquée subit du matin au soir railleries et quolibets. Nous parions Dekoninck et moi de monter sur le parapet et d’insulter les boches. Le pari est tenu par le caporal qui croit à notre dégonflage. L’enjeu, un quart de vin.
Je grimpe subitement le premier sur le parapet et debout, face à la tranchée ennemie, petit liseré brun à 200 mètres d’ici, je lance dans mes mains en cornet un vigoureux : « À bas les boches ! »
Au loin l’écho répète le cri vengeur. Rien. Le boche n’a pas pipé !
Dekoninck répète la même scène.
━ Vous êtes complètement cinglés. À faire les louftingues vous ramasserez un jour une balle dans le c… et vous ne l’aurez pas volé... nous déclare rageusement le cabot.
━ À nous le pinard, lui crie sous le nez Dekoninck, et ne ramène pas ta fraise.
Le soir à 10 heures nous sommes relevés par de beaux cavaliers aux équipements frais. Retour au village nègre.