LDE carnet de route p.37 1917

  • 29 novembre 2014

C’est vers Vous, Seigneur, que monte notre suprême prière. En Vous, nous mettons tout notre espoir, tout notre faible espoir de vivre.
Dehors pas un bruit. On croirait la planète abandonnée par les humains.
Il reste encore quelques minutes avant le drame et c’est bien la peur qui ronge chacun de nous comme un chancre. Les mains crispées sur le fût du fusil, on appréhende la sortie lorsque la folie sera déchaînée ; ce moment où, pénétré de notre faiblesse, il faudra affronter la puissance terrifiante des outils de mort, risquer l’agonie, sans soin, sans secours, abandonné comme une bête sans vie, loin des siens, dans la souffrance de la chair meurtrie.
Je suis un des plus jeunes, mais ces hommes qui m’entourent et qui depuis deux ans vivent cette vie de damné, luttant contre la peur de la mort, de la blessure, contre la pluie, le froid, l’insomnie, la fatigue, la vermine, qui sont-ils ?
Ce sont les soldats de France, les mêmes que ceux de notre histoire ; ils continuent comme toujours à souffrir et à mourir en maugréant, mais avec la même âme et la même grandeur.
Une bouffée d’air frais descend de l’escalier.
Dehors, à l’entrée de l’abri, le Lieutenant Barcelot attend l’heure H.
━ À l’heure H-5, nous sortirons, annonce Vacher.
━ Vivement que ça finisse ! s’écrie une voix.
━ Et avec la bonne blessure... une autre voix.
Soudain un bruit sourd et prolongé déchire le grand silence.
━ Vl’à la danse qui commence, hurle Vitus.
Le déchaînement des cieux et de la terre a secoué notre abri qui vacille et tangue.
Est-ce le ciel qui s’écroule sur nous ? Est-ce la terre qui se soulève sous la pression d’un volcan géant ? Dehors, la nuit est chassée par le feu qui rugit en milliers d’explosions.
Du haut de l’escalier Barcelot a appelé et Vacher descend en bolide et hurle :
━ Tout le monde dehors !
D’un seul geste tous les hommes se sont dressés et en ordre se dirigent vers l’escalier.
Dersigny reste le dernier.
L’air frais du matin tonifie l’esprit et nous voici plongé dans un monde diabolique.
Vision d’apocalypse.
Aux premières lueurs du jour naissant se mêlent en sarabandes infernales les éclairs, les traînées de feu, les gaz âcres qui se déchaînent, tandis que sous d’énormes coups de pioche, la masse informe sur laquelle nous courons chétifs et hésitants, se disloque et s’affaisse ; spectacle terrifiant, inimaginable.
Le Lieutenant Barcelot nous a placé dans un immense entonnoir, face au gigantesque rideau de fumée qui barre l’horizon à 200 m. devant nous.
Nous mettons baïonnettes au canon et je serre bien ma jugulaire. Quelques obus nous rejettent dans le fond de l’entonnoir et font pleuvoir sur nos casques des moellons et de la terre. Trop alourdi pour courir, je vide une musette de vivres. Je bois un quart de vin.

5 h. 1/2. ━ Un bond, nous voici hors du trou.

On va courir, d’un geste Barcelot nous arrête. L’assaut se fera au pas.
━ En tirailleurs ! en avant ! au pas !
La section s’est déployée en ligne disloquée car le terrain est chaotique. À cent mètres devant nous une vague d’infanterie s’est dressée, s’égrène, ondule et fonce vers le Nord-Est. Nous accélérons pour suivre le 3e bataillon qui colle derrière le barrage.
Nous avançons au milieu d’un terrain mouvementé, creusé et boursouflé, grimpant, descendant des crêtes et des entonnoirs énormes. Aucune tranchée, aucun cadavre. Tout est fondu dans la terre grise. Panorama des premiers âges avant l’apparition de l’homme.
Aucun horizon, le rideau de barrage forme un immense écran. Plus trace de vie. Le 3ème bataillon a été comme nous, noyé dans le sol meurtri.
Je me trouve à l’extrême droite de la section avec Rogerie. Chacun s’assure de la présence

Portfolio

Dans la même rubrique

1917

━ Ah ! les vaques ! les faire attaquer sans préparation d’artillerie ! D’une secousse, le véhicule a franchi le fossé de la route et nous voici (…)

1917

L’année 1917

LDE carnet de route p.6 1917

1917ler janvier 1917. ━ Pour marquer cette journée, nous touchons en supplément, un seau de fromage, de la confiture et pour 4 hommes une (…)

LDE carnet de route p.7 1917

Les officiers du D. D. sont tous d’anciens blessés. Ils doivent le rejoindre comme tous les soldats évacués, après leur guérison.
Le commandant (…)

LDE carnet de route p.8 1917

Et le soliste enchaîne :
Sur le talus renverse la bergère,
Sur l’ennemi renverse les remparts,
Dans les boyaux fous-toi la gueule par terre, (…)

LDE carnet de route p.9 1917

Elle va s’accentuer au point de rendre la respiration impossible. À chaque inspiration une pointe de fer stoppe mon souffle. Je me sens lentement (…)

LDE carnet de route p.10 1917

Pendant mon absence, le D. D. est monté trois fois à l’arrière des lignes pour y faire travaux de défense.
La température s’est adoucie. Mercredi (…)

LDE carnet de route p.11 1917

Après Villey-le-Sec, la Compagnie traverse la défense du camp retranché de Toul. Canton­nements à Gye. Lundi 12 mars. ━ Durant la nuit, nous avons (…)

LDE carnet de route p.12 1917

Le troupeau stoïque et muet ne comprend rien. Enfin, à 11 h. 30, ordre est donné d’embarquer. Ma section occupe l’unique wagon de voyageur et à 1 (…)

LDE carnet de route p.13 1917

Voici Châtillon-sur-Marne. La statue immense du pape Urbain II regarde défiler ces légions de France qui vont refouler le Barbare.
À 5 heures du (…)

LDE carnet de route p.14 1917

Dimanche 22 avril. ━ Aménagement des tentes.
Nous creusons des fossés pour éviter l’envahissement de la pluie qui n’a cessé de tomber toute la (…)

LDE carnet de route p.24 1917

Il tance vertement un cycliste qui eut, pendant sa mission, la veine de crever juste devant la porte d’un bistrot. À l’entrée du village, il (…)

LDE carnet de route p.15 1917

Jeudi 10 mai. ━ Ordre de se rapprocher des lignes pour y faire des travaux de défense.
J’apprends en même temps que je suis désigné pour une (…)

LDE carnet de route p.16 1917

━ Hé ! le mec de la régulière ! où que tu vas ?
━ À Germigny.
━ Tends un peu. On va faire route ensemble.
C’est un joyeux du 3e Bataillon (…)

LDE carnet de route p.17 1917

━ Tu vois les lignes là-bas, elles passent juste devant le fort de Brimont, ce monticule où tombent les gros noirs. Cette ligne de poteaux, ce (…)

LDE carnet de route p.19 1917

Enfin ! des tranchées plus profondes. Les fusées éclatent sur nos têtes et c’est la tranchée de première ligne. Le caporal Dandou nous accueille. (…)

LDE carnet de route p.20 1917

Joutel et Quéhu me font signe et nous appuyons cette fois-ci vers la droite. Un aéro boche qui nous survole lâche une rafale de balles. Devant une (…)

LDE carnet de route p.21 1917

rien de plus que ce que vu. Cependant on apprend que l’ordre de la relève est bien parvenu au P.C. de la Compagnie. Les gens d’en face ne veulent (…)

LDE carnet de route p.22 1917

Je transmets à ma famille tous les renseignements qui peuvent intéresser les pauvres parents. J’ai reçu ce matin un flacon d’alcool de menthe de (…)

LDE carnet de route p.23 1917

conne chaque fois qu’il ramène sa fraise ». Quand il va en permission, il recolle en douce ses anciens galons pour se présenter chez sa fiancée ». (…)

LDE carnet de route p.25 1917

Sur la route de Bar-le-Duc, c’est une longue chaîne de véhicules bâchés qui se dirige vers Verdun. Des territoriaux étendent la caillasse sur la (…)

LDE carnet de route p.26 1917

Lundi 2 juillet. ━ À 6 heures du soir, ordre de lever le camp.
Les tentes sont pliées, les faisceaux rompus. On attend l’arme au pied. (…)

LDE carnet de route p.33 1917

Lundi 16 juillet. - À midi, violent bombardement.
Le soir, second départ pour la relève. En 10 minutes le ravin est traversé sans incident. Au (…)

LDE carnet de route p.27 1917

━ Faites passer de faire silence. Le boyau a disparu. Dans un ravin la file des ombres glisse sur un terrain chaotique. Le ravin de la mort. Plus (…)

LDE carnet de route p.28 1917

À droite, à gauche, près de la grappe humaine fondue dans la même angoisse, des masses de terre et de pierres comblent peu a peu le boyau. À ma (…)

LDE carnet de route p.29 1917

━ Ça fait rien, il n’a pas les foies, murmure Wanlin à mon oreille. Dersigny a disparu et après lui, les minutes se succèdent longues et (…)

LDE carnet de route p.30 1917

Et la chaîne fonctionne toujours et les obus plus serrés que jamais piochent la terre entre la tranchée Bouchez et nous. ━ Hep là ! on a pas dit (…)

LDE carnet de route p.31 1917

Dans l’après-midi l’ordre arrive d’évacuer la première ligne ; notre artillerie doit effectuer un tir de destruction sur les réseaux ennemis. Pour (…)

LDE carnet de route p.32 1917

lignes une couverture pliée sous son bras. Rapidement j’épaule et tire. Je manque le but. J’arme de nouveau, mais la culasse boueuse glisse (…)

LDE carnet de route p.34 1917

Mardi 7 août. - Pour la 5ème fois je quitte La Réole. Mon frère Paul, guéri de sa blessure m’accompagne jusqu’à Bordeaux. Il rejoint son dépôt à (…)

LDE carnet de route p.35 1917

Dimanche 12 août. ━ Journée magnifique.
Quelques obus vont vers l’arrière rappeler qu’on est toujours en guerre. L’après-midi, partons 4 et un (…)

LDE carnet de route p.36 1917

Jeudi 16 août. ━ Au matin des camions enlèvent le Bataillon et le dépose à Velaines, près de Ligny-en-Barrois.
Pays ravissant et hospitalier. (…)

LDE carnet de route p.38 1917

d’un camarade voisin, aussi à gauche, un groupe forme troupeau autour du Lieutenant. Peu à peu la progression nous échauffe. Le défaut de réaction (…)

LDE carnet de route p.39 1917

de ce massacre. Noireau est tué net à ma droite, près de lui, un homme se tortille comme un ver et les canons rugissent toujours tandis que des (…)

LDE carnet de route p.40 1917

Ce soir corvée de soupe avec Turgis et Poteau. Le ravitaillement doit monter jusqu’à Esnes-en-Argonne. Je charge les deux bouteillons et Turgis (…)

LDE carnet de route p.42 1917

Mercredi 29. ━ Le secteur est nettement plus calme, quelques obus dans la journée. Le ravitaillement n’a pu monter la nuit dernière, coupé par (…)

LDE carnet de route p.43 1917

Vendredi 31. ━ Journée très calme et chaude.
Le soleil embrase littéralement le fond sableux de notre carrière. On cherche l’ombre contre le (…)

LDE carnet de route p.44 1917

Dimanche 2 septembre. ━ Le soleil est revenu et ses rayons bienfaisants nous permettent de sécher nos vêtements boueux.
La cote 309 est un (…)

LDE carnet de route p.45 1917

À Dombasle-en-Argonne, nous rattrapons l’escouade et la marche vers Jubécourt se poursuit silencieusement. Les hommes avancent cahin-caha sur des (…)

LDE carnet de route p.46 1917

Dimanche 16 septembre. ━ Le secteur est redevenu calme et le ciel, qui a eu pitié de nous, nous verse une douce chaleur.
Journée ensoleillée. (…)

LDE carnet de route p.47 1917

Jeudi 20. ━ Bombardement des deux côtés.
Suis de corvée de soupe. Nuit très noire. En file serrée, la corvée se dirige par une piste vers le (…)

LDE carnet de route p.49 1917

Le soir nous retrouve dans la tranchée avec nos pelles et pioches. Une mitrailleuse d’en face nous arrose de balles, la pièce fait un tir (…)

LDE carnet de route p.48 1917

Si le coup de main est pour nous, l’ennemi sera bien reçu. Pour le moment la section n’a pas écopé et bien que les 88 s’acharnent sur notre (…)

LDE carnet de route p.50 1917

Mercredi 10 octobre. ━ Tenue de tranchées.
On relèvera le 87e R.I. au soir. Départ à 6 heures pour le même secteur. Il pluviote et dans le (…)

LDE carnet de route p.51 1917

Dimanche 14. ━ Beau temps mais froid.
Le brouillard s’attarde dans le ravin jusqu’à midi. Bombardement sur la droite. Un cri dans la nuit suivi (…)

LDE carnet de route p.41 1917

l’insomnie, et l’eau et la boue viennent ajouter à notre lamentable misère. L’énervement nous gagne. Pour des riens, de violentes disputes (…)

LDE carnet de route p.52 1917

Samedi 20 octobre. ━ Temps toujours brumeux, mais avant midi le soleil parvient à crever la croûte blanche et la masse crémeuse s’écoule en (…)

LDE carnet de route p.53 1917

Dimanche 21 octobre. ━ Beau temps.
Notre 75 tiraille toute la journée et les flocons bleus s’égrènent sur la crête d’en face. Le soir vers 9 (…)

LDE carnet de route p.54 1917

Lundi 5 novembre. ━ La tranchée est bonne, la section occupe un petit abri, peu profond mais solide.
Sur notre droite le Mort-Homme est très (…)

LDE carnet de route p.55 1917

Samedi 10 novembre. ━ Relève par le 87e R. I., sans histoire. À 5 heures du matin, sommes au bois. Le lendemain nettoyage général des armes et (…)

LDE carnet de route p.56 1917

Lundi 19. ━ Vers 2 heures du matin, l’ennemi déclenche sur nous un violent tir de barrage.
Nous sommes en seconde ligne, aussi nous encaissons (…)

LDE carnet de route p.57 1917

Vendredi 23. ━ Journée claire.
Un peu de soleil, c’est un bonheur d’en sentir la douceur. Violentes rafales sur les pistes.
À 10 heures du (…)

LDE carnet de route p.58 1917

21 décembre. ━ Exercices.
Sur les petits coteaux qui dominent Thonnance-lès-Joinville, nous jouons à la petite guerre, pour ne pas oublier (…)

LDE carnet de route p.59 1917

Vendredi 28. ━ Ordre de rejoindre le front de Lorraine, mais on ne partira que demain.
On aura tiré 3 jours sous la paille.
Samedi 29. ━ (…)