LDE carnet de route p.23 1917
conne chaque fois qu’il ramène sa fraise ». Quand il va en permission, il recolle en douce ses anciens galons pour se présenter chez sa fiancée ».
Nous nous amusons de ces méchancetés et la soirée s’achève sous nos couvertures lorsque le godillot habituel culbute la dernière bougie allumée.
5 juin. ━ Toujours à Festigny.
On discute fort sur les derniers événements. Certains approuvent les mutins.
━ On attige un peu trop, assure Vitus avec sa face poilue et sale. On fait casser la gueule toujours aux mêmes ; depuis deux ans on est dans la m... et on nous traite comme de la bidoche d’abattoir.
━ Oui, cette garce de guerre finira pour nous dans la toile de tente, ajoute Gallais, et Quéhu conclut :
━ Vivement la bonne blessure et l’Housteau !
C’est la grogne de l’Empire.
Garde au poste de police dans la nuit. À 3 heures du matin le régiment reprend la route pour 9 jours.
À nous les kilomètres sous l’oeil luisant du soleil d’été, dans la poussière qui colle la langue et sèche la sueur, sous le sac pesant qui scie les épaules, dans une forêt de pointes de fusils.
Pieds fumants qu’écorchent les cailloux, la longue théorie de la piétaille avance en plaisantant, crachant le jus des pipes. La douceur du paysage nous est indifférente. Notre horizon, la gamelle du camarade à un pas de notre nez.
À 7 heures, nous sommes à Baizil, 15 km. On repart le lendemain à 2 heures du matin. La chaleur nous oblige à faire les déplacements la nuit. À Montmort, défilé devant le genéral de division au son de la musique du Régiment. Cantonnement à Étoges, 12 km.
Ici le colonel Berthoin notre nouveau chef nous rejoint. Grand bonne tête, fortes moustaches, on le dit « brave type ».
Le samedi 9 juin, nous avalons 15 km, ce qui nous conduit à Romain, village détruit pendant la bataille de la Marne et que des prisonniers reconstruisent.
Dimanche 10 juin. ━ Repos toute la journée.
Nous sommes dans la plaine de la Marne avec ses carreaux de blé, d’où surgissent des tombes de soldats français du 32e R. I. et d’allemands du ler Régiment de la Garde.
Visite aux tombes dont le nombre atteste l’âpreté des combats.
Lundi 11 juin. ━ Départ à 4 h. 30 pour Villeseneux que nous atteignons après 12 kms de marche.
Le lendemain, 12 km. de plus pour Soudé-Sainte-Croix.
La marche se poursuit vers Vitry-le-François que nous traversons en défilant par une température sénégalienne. Le sueur et la poussière forment une graisse visqueuse qui englue la chemise et transperce la veste. La capote a été roulée sur le sac, la poitrine est ainsi dégagée, mais les épaules sont alourdies. Décravatés et poitrines nues, nous avançons en tirant sur les cuirs, comme des bêtes d’attelage.
À tour de rôle, chacun prend en charge le nécessaire le plus lourd de l’escouade, le bouteillon de rata. C’est un supplément de 3 kilos de plus sur le sac et qui rejette le poids en arrière.
À chaque pause, nous ravageons les cerisiers magnifiques qui bordent la route.
Jeudi 14 juin. ━ Repos à Vitry-en-Perthois.
Visite aux cerisiers et musique du régiment sur la place de l’église.
Vendredi 15. ━ Départ à 4 heures du matin pour le Buisson.
En route, devant le bataillon déployé en lignes de sections par deux, le colonel décore un de nos officiers de la Légion d’honneur et deux sergents de la Médaille militaire, dont le sergent Dersigny.
Pendant la marche, le colonel, accompagné par ses cyclistes, a rejoint à pied notre bataillon. Il avance sur le côté gauche de la colonne, échangeant quelques impressions avec des hommes.