LDE carnet de route p.39 1917
de ce massacre. Noireau est tué net à ma droite, près de lui, un homme se tortille comme un ver et les canons rugissent toujours tandis que des fusées multicolores éclatent dans un ciel rougeâtre.
Près de nous, des sapeurs du Génie, le long d’une tresse blanche, restent immobiles, figés par la mort.
Des brancardiers sublimes passent en courant, chargeant les blessés transportables et cela dure jusqu’au soir. Nous jetons sur le parapet trois des nôtres. Une toile de tente a recueilli les débris de l’un d’eux.
La terre a des relents de chair pourrie.
━ Désalbres ! à la tranchée Dorothay !
━ où c’est, la tranchée Dorothay ?
Et le sergent m’indique la ligne que nous occupions ce matin sur le bord du ravin.
━ Tu seras de garde aux fusées et aux gaz et attention ! le 3e bataillon attaque ce soir à 9 h. Faut bien veiller à répéter les fusées.
Je m’élance vers la position indiquée où je trouve un trou aménagé. Je m’installe avec mes fusées et scrute l’ombre du ravin. En bas, le 3e bataillon va reprendre l’attaque et poursuivre la progression jusqu’au ruisseau des Forges.
Brutalement la préparation d’artillerie se déclenche. L’ennemi répond par un puissant tir de barrage. En groupes serrés les obus déferlent sur nos positions. En bas les grenades crépitent, les mitrailleuses caquettent. Le combat doit être âpre.
La nuit est illuminée de milliers d’éclairs, le ciel est zébré de filaments de feu. Je répète toutes les fusées que les camarades lancent d’en bas. Le spectacle est d’une beauté tragique. À 11 heures le combat semble terminé, mais l’ennemi ne cesse de nous arroser d’obus de tous calibres.
J’ai passé toute la nuit accroupi dans ce trou, surveillant l’horizon céleste sous une grêle de fer et de pierres et plaqué contre le sol par le souffle des explosions.
Samedi 25 août. ━ J’ai rejoins la section au matin.
Nous apprenons que le capitaine Bonetti, Commandant le 2e Bataillon a été tué. C’était mon Capitaine au D.D.
Dans la nuit, l’escouade a reçu, venant de l’arrière, un nouveau. C’est un nommé Turgis, 41 ans. Il arrive de la Territoriale. Passé en Conseil de guerre pour indiscipline il a été condamné aux… tranchées. Nous sommes bien des bagnards.
Toute la journée nous creusons. On pioche toujours dans de la viande et des débris humains. Nous rejetons loin, dans les trous d’obus toutes ces chairs décomposées. Avec la chaleur l’odeur est insupportable.
Pendant la nuit, les brancardiers ont emporté les corps de nos camarades et des sapeurs du Génie.
L’artillerie a poursuivi son oeuvre de destruction et de mort. Deux nouveaux blessés à la section.
Vers le soir je saisis un instant de calme pour mettre à jour mon carnet de route.
━ Alors toi, t’es marrant, me dit Harquey. Tu veux écrire des livres sur ces trucs de boucherie ?
━ T’entraves queue d’al, pauvre couillon, lui répond Dekoninck, faut bien apprendre à la classe 37 ce qu’on a foutu.
━ C’est très bien, Désalbres, et je vous félicite.
Le lieutenant Barcelot est un homme cultivé. Il apprécie ceux qui essaient de penser, dans ces heures où l’animal est roi.
Notre artillerie n’a cessé d’écraser les lignes adverses et dans la nuit nous creusons pour rejoindre les éléments de tranchées occupés par les sections voisines.
Dimanche 26 août. ━ L’ennemi ne réagit plus.
Il a compris. Pour lui, la cote 304 est perdue. Il pleut à fines gouttes et notre tranchée aux bords évasés coule en boue liquide. Peu à peu nos vêtements s’imprègnent jusqu’à la peau et l’eau boueuse monte jusqu’aux chevilles.
Après le boche et les obus, après la fatigue et l’angoisse, après les totos voici la pluie et la boue.