LDE carnet de route p.51 1917
Dimanche 14. ━ Beau temps mais froid.
Le brouillard s’attarde dans le ravin jusqu’à midi. Bombardement sur la droite. Un cri dans la nuit suivi d’un coup de feu.
Lundi 15 octobre. ━ Notre droite est toujours fortement bombardée.
On apprend que l’ennemi a encore fait irruption chez le 2e bataillon. Le barrage s’est déclenché trop tard et quarante des nôtres ont été ramassés dans une seule sape. Il y a parmi eux 2 officiers et 2 aspirants.
Vers minuit, corvée de soupe. Aucun incident.
Mardi 16. ━ Journée calme.
Le soleil est revenu et réchauffe le sol humide. Je suis toujours en service d’observation et j’évite ainsi les corvées de nuit. Je relève sur la crête d’en face de nombreux travaux.
Mercredi 17. ━ Profitant du brouillard qui le masque, l’ennemi travaille hors de sa tranchée.
Dès que le brouillard se dissipe, on distingue les hommes de corvée qui rejoignent précipitamment leur ligne. Ce brouillard est vraiment redoutable, il coule parfois du ravin avec une rapidité surprenante.
La nuit garde au PP 3. Il fait très froid et il est interdit de tousser.
Jeudi 18. ━ Pluie fine, le brouillard ruisselle.
Calme absolu. Dans la nuit, une rafale de 75 rase notre position et s’écrase dans le fond du ravin. Notre artillerie cherche à détruire un petit poste ennemi près du ruisseau.
À propos de ce ruisseau, nous sommes très intrigués par un phénomène surprenant. Du PP 1 l’oreille distingue nettement le bruit d’une petite cascade dont le murmure monotone domine le lourd silence des nuits de veille. Cependant, par moments, le bruit s’arrête comme si le ruisseau cessait de couler. J’ai signalé le phénomène au lieutenant qui soupçonne l’existence d’un dispositif de barrage actionné d’un petit poste ennemi. L’arrêt de la cascade replonge le ravin dans un grand silence.
Le commandement a voulu en avoir le cœur net. Une patrouille conduite par le lieutenant Petit est sortie la nuit dernière et le phénomène a bien été confirmé.
On pense que la vanne est placée près d’un ponceau qu’on aperçoit d’ici avec des jumelles.
L’affaire prend de l’importance ; un officier d’artillerie est arrivé cet après-midi et par un fil spécialement déroulé s’est mis en communication avec sa batterie. Jumelles en mains il repère le ponceau, donne la hausse et commande le départ. Un coup double fait vibrer l’air et comme un météore l’obus frôle notre crête et va exploser près du pont.
━ Trop long de 2 mètres
Le tir est rectifié, feu !
Cette fois-ci le coup est trop court. Enfin au 3e, le ponceau vole en éclats.
Les hommes de la section ont suivi avec passion cet exercice de tir et en face on aura jugé de la qualité de notre artillerie et des cadres.
Vendredi 19. ━ Hé Désalbres ! Viens avec nous ! On va fouiller les abris boches abandonnés.
Il y a du brouillard dans le ravin, on n’y voit pas à 2 mètres.
Je suis réveillé sur ma couchette par Cazemayou et bien qu’un peu las, je suis disposé à tenter cette expédition. Gallais est de la partie.
Dehors une brume épaisse voile toute la vue. Il est 8 heures du matin. Il y a de gros abris inoccupés dans le fond du ravin vers Avocourt. Que risque-t-on ? Les patrouilles et les petits postes sont tous, rentrés. Cependant nous signalons notre sortie à l’homme de garde. Nous avons chacun 3 grenades OF. Après quelques 200 mètres, trois masses de terre se dressent devant nous. Avec précaution, nous nous en approchons. Il y a trois entrées que nous inspectons bien.
━ Allez-y, dis-je. Je monte la garde !
Par prudence, je ramasse quelques grenades à œuf que les boches ont abandonnées devant la sape.
Mes deux camarades sont au fond, au pillage ; j’attends, sondant la masse cotonneuse qui m’entoure. À quelques mètres des cadavres achèvent de se décomposer.
Mais ai-je une vision ? Voici que le terrain se découvre presque subitement. Comme un torrent, le brouillard dévale et roule vers le fond du ravin. La crête ennemie va apparaître.
Je hurle dans l’escalier de la sape :
━ Remontez vite ! Le brouillard fou le camp, vite... vite...
D’un bond mes deux compagnons sont remontés et nous filons vers notre tranchée en course folle.
━ Allons-nous arriver trop tard ? La crête ennemie va apparaître et la mitraille nous fauchera avant d’atteindre notre tranchée !
Un coup de feu... une balle passe sur nos têtes, mais le coup est bien parti de chez nous.
Encore un effort déchirant et nous voici sauvés.
━ Quel est le salaud qui a tiré sur nous ? s’écrie Cazemayou essoufflé.
━ Le salaud ? C’est moi ! et le lieutenant apparaît un fusil à la main, et la prochaine fois, si vous recommencez je ne tirerai pas en l’air.
L’incident en est resté là.