LDE carnet de route p.36 1917
Jeudi 16 août. ━ Au matin des camions enlèvent le Bataillon et le dépose à Velaines, près de Ligny-en-Barrois.
Pays ravissant et hospitalier.
Liberté quasi totale du 17 au 22 août. Nous mettons à profit ces journées de vacances pour nous rendre à Ligny, ville voisine. Un jour, avec Coutant de Blaye et le parisien Ilette, nous allons visiter les Américains qui occupent Ligny. La 1re D. I. d’ Amérique est dans la région pour y subir une instruction poussée. Chaleureuse réception. Au poste de police la fraternité d’armes est fêtée par de nombreuses libations. On vide avec les hommes du poste et son sergent de nombreuses bouteilles de vin bouché. Nous quittons le poste en y laissant les occupants complètement ivres.
Devant la guérite la sentinelle cuve son vin, accroupie le fusil entre les jambes.
Nous aussi nous avons notre compte. Nous rentrons à Velaines bras dessus bras dessous, braillant comme des forcenés. Je suis arrivé au cantonnement seul, mes deux camarades sont restés dans le fossé.
Mercredi 22 août. ━ Le repos est terminé.
Des camions nous enlèvent subitement. C’est encore pour Verdun. La bataille s’est ranimée avec force. Nos troupes ont déclenché une violente offensive sur la rive gauche. Tous les objectifs ont été atteints, sauf la cote 304. Nous avons compris.
À 11 heures du soir, le convoi est à Dombasle-en-Argonne et le Bataillon campe dans le bois du Defois.
Jeudi 23 août. ━ La forêt est farcie d’artillerie.
Si cette densité est la même jusqu’aux lignes, c’est un ouragan qui va passer sur les boches.
Dans l’air des dizaines d’aéros sillonnent l’air en un bruit sonore et continu. Ils passent, repassent comme les mouches au plafond d’une chambre.
D’ Avocourt à la Meuse, le 13e corps et un Corps africain ont attaqué. Le Mort-Homme est tombé, par contre 304, notre fameuse cote, n’a pu être prise à l’ennemi. À nous revient cette tâche pour demain.
Préparatifs. Tenue d’assaut, pas de capote, pas de sac mais toile de tente en bandoulière.
Deux jours de vivre en plus des deux jours de réserve, 1 bidon de café, 1 bidon de vin, enfin on nous distribue 1/4 d’eau-de-vie. Celle-ci présente une légère odeur éthérée.
En qualité de grenadier V. B., je touche 4 grenades V. B., véritables petits obus projetés par le départ du fusil et qui vont à 80 mètres. Ces grenades font du bon travail. J’ai en plus quelques fusées V. B. ; fusées pour demande de barrage, fusée pour allonger le tir et enfin les cartouches réglementaires.
Lorsque je rejoins ma tente je me sens plus alourdi que si j’avais le sac. C’est ce qu’on appelle la tenue légère d’assaut.
Par colonnes de files les sections s’enfoncent dans le bois. Il est 11 h. du soir.
À 2 heures du matin, après une pénible marche par l’itinéraire déjà connu, nous relevons le 139e R.I. à l’emplacement que la section occupait en juillet. Le coin est méconnaissable.
Plus de tranchées, plus de boyaux, plus de carrefour. Partout des excavations géantes. Un cataclysme est passé par là.
L’abri du barrage a tenu le coup et par les 2 entrées à demi obstruées, la section entière s’y installe en attendant l’heure H.
Vacher nous explique. Nous sommes deuxième vague, la première sera formée par le 3e bataillon.
Faiblement éclairés par des bougies, les poilus se sont accroupis silencieusement contre les parois.
Personne ne dit mot. Chacun respecte le silence de son voisin. Quelques soupirs d’angoisse s’échappent de poitrines oppressées. C’est ma première attaque et une sorte de curiosité domine tous mes sentiments.
━ Tu parles d’une connerie ! murmure mon voisin.
C’est bien le mot qui résume tout, c’est par c... des hommes que des centaines de milliers de jeunes Français meurent depuis deux ans. Dans quelques minutes, ceinturés de cuir et de fer nous irons fondre dans cette terre déjà engraissée de sang et de chair.