LDE carnet de route p.30 1917
Et la chaîne fonctionne toujours et les obus plus serrés que jamais piochent la terre entre la tranchée Bouchez et nous.
━ Hep là ! on a pas dit d’ rentrer dans la sape ?
━ J’ sais pas. Peut-être ben qu’oui, on a dit d’ rentrer dans la sape.
━ Pas vrai, s’ pas qu’on a dit d’ rentrer dans la sape ?
━ Faites passer d’ rentrer dans la sape !
━ Oui, oui ! on a dit d’ rentrer dans la sape.
━ Faites passer...
Et en trombe, poussée par le vent des explosions, la section s’engouffre dans l’escalier de l’immense abri. La lumière d’un briquet découvre une superbe salle étayée par de solides charpentes. Des couchettes de treillis sont alignées et superposées le long des parois.
━ Vise-moi ça, le bath gourbins ! y a au moins 8 mètres de terre là-dessus.
━ J’ t’en fou ! Y en a bien 12. Un 210 ne le crèverait pas, répond Lelièvre en connaisseur.
━ Tas raison, on va pouvoir en écraser tranquilles là-dessous.
Et ; chacun de s’extasier sur le chef-d’œuvre qui nous abrite. Des mains calleuses palpent avec volupté les traverses massives du plafond. Dehors, le bombardement poursuit son tir destructif.
Soudain Dersigny surgit de l’escalier.
━ Qui a donné l’ordre de descendre dans la sape ?
━ J’ sais pas. On a dit d’ rentrer, répond flegmatiquement Poulain.
━ Qui, on...?
━ Tout l’ monde l’a dit en même temps.
━ Eh bien, faut remonter et se remettre au boulot.
━ On pourrait peut-être attendre que ça passe, implore une voix du fond de la cagna.
━ Allez, allez vite ! Plus vite ça finira, plus tôt vous serez libre.
Un instant plus tard, le nouveau barrage était dressé, large et massif, le boyau réparé,
approfondi et déblayé.
━ Alors on peut descendre maintenant dans la sape pour en écraser ?
━ Non ! Tous à la tranchée. Restent ici que les 3 équipes de gardes, ordonne le sergent.
━ Ben, moi, j’ suis volontaire pour la garde au barrage, réplique Rogerie.
━ Et moi aussi, ajoute Poulain.
━ Allez, ça va ! Caltez à la tranchée, tranche brutalement le Sergent.
━ Si c’est pas dégueulas ! On fou des gourbis à des mectons de 20 ans et à nous les vieux qui ont des gosses, on nous colle dans la tranchée ! Ah ! Les salauds !
━ Et nous, les "mectons" de 20 ans, nous restons à la garde du barrage.
Dimanche 8 ━ En une nuit, le secteur a été remis en état de défense.
Les tranchées relevées et approfondies, les réseaux renforcées, les petits postes avancés. Des corvées ont apporté des réserves de grenades.
Nous pouvons attendre las événements. .
Matinée calme. C’est pendant la nuit que les deux camps s’énervent. La garde du barrage est sans risque le jour, elle dure six heures la nuit pour chaque équipe de deux. Pendant ce temps les deux autres équipes prennent leur repos au fond de la sape.
Mon fusil-tromblon lance-grenades est prêt à servir de première défense en cas d’alerte.
Cette nuit, même incident que la nuit dernière, un guetteur boche a vu un des nôtres en corvée dans les barbelés. Alarme. Fusées à 3 étoiles et tir de barrage.
Grâce au voisinage des boches nous évitons ici les coups directs. Seuls les éclats morts tombent comme grêle. L’ennemi très énervé nous jette des grenades. Nous ne répondons pas, n’ayant aucun but sous les yeux.
Au matin, le calme est revenu.
Lundi 9 juillet. - Journée calme.
Soleil brûlant. La terre est sèche et poussiéreuse.