LDE carnet de route p.27 1917
━ Faites passer de faire silence.
Le boyau a disparu. Dans un ravin la file des ombres glisse sur un terrain chaotique. Le ravin de la mort.
Plus un mot. À voix basse les ordres se transmettent d’homme à homme.
━ Faîtes passer : pas gymnastique !
━ Pas gymnastique !
━ Pas gymnastique !
On serre de près son chef de et trébuchant, bondissant, à travers un terrain raviné, meurtri, défoncé, nous atteignons le fond du ravin. Un ruisseau, une source cherche son lit. Avec un bruit mat, un homme a trébuché et roule dans un trou boueux.
━ Attendez-moi les gars !
━ Ta gueule !
Et la course se poursuit, les yeux sur la crête, pour interroger les fusées éclairantes qui surgissent comme des étoiles filantes.
Un choc... mon front heurte la crosse du F. M. de Joutel. Derrière, un nez s’écrase sur mon bouteillon.
Grognements, jurons étouffés. On entend murmurer salaud ! », puis la file reprend la progression en bifurquant sur la droite.
Le ravin est traversé sans incidents. La piste longe la côte aux fusées. Deux presque obstrués : P. C. du Commandant et Poste de secours. Nous sommes dans le boyau des Zouaves. La colonne s’arrête.
Soudain, quelque chose de rapide et puissant fonce sur nous. Le projectile percute avec fracas à quelques mètres. Les échines se courbent sous l’avalanche de moellons.
━ Ch’tilo, c’est un maous !
━ C’est un 105.
━ Un 105 ?... un 105 ? sp’èce d’andoul... Je t’en foutrai des... tiens en vla un aute !
Une flamme rouge. Un fracas de pierre.
━ Àh ! les vaques
━ Mais avancez donc tas d’salauds !
━ Y vont nous faire buter comme des c...
La colonne enfin repart et un troisième obus tombe derrière nous. Un boyau sur la crête nous a conduit à la première ligne. La section est arrêtée à un carrefour et les hommes s’égrènent dans une tranchée dont les bords atteignent à peine les épaules.
━ C’est ici, nous dit Dersigny.
━ Ch’est din ch’ tranchée qu’on s’ colle ? demande Quéhu,
━ Ben mon pot, s’int pas fait des ampoules aux mains les copains.
7 juillet ━ J’ai achevé la nuit de la relève, appuyé contre le parapet, à surveiller l’horizon invisible d’en face. Dans l’obscurité rien n’apparaissait. Les fusées noyaient de lumière opalescente des masses sombres comme de gros tumuli. Au petit jour j’ai découvert une croûte terrestre dont le chaos rappelle les spectacles lunaires. Ces gros tumuli ne sont que des plissements de terrain produits par les obus de gros calibre.
Notre artillerie commence l’écrasement systématique de la première ligne allemande. Celle-ci est à peine à 150 mètres. Le boche riposte avec force. Par rafales, les 88 et les 105 harcèlent le carrefour. À cadence la tranchée du général Bouchez occupée par notre compagnie sera Vit-e nivelée. -
━ Oh mais ! Oh mais ! ça va mal, les gars ! s’écrie le caporal.
━ Si ça dure on va en ramasser un sur la gueule, hurle Gallais en courbant l’échine.
━ Va falloir l’approfondir vite, crie Wanlin et toute l’escouade s’est blottie contre un pare-éclats. Il faut attendre la fin de ce pilonnage qui menace de nous anéantir tous et à chaque minute.
Les 88 fulgurants s’émiettent furieusement autour de nous. Les souffles de feux pulvérisent le parapet. Quelques 105 ponctuent ces rafales par des explosions plus puissantes.