LDE carnet de route p.12 1917
Le troupeau stoïque et muet ne comprend rien. Enfin, à 11 h. 30, ordre est donné d’embarquer. Ma section occupe l’unique wagon de voyageur et à 1 heure du matin le convoi démarre emportant les compagnies endormies.
Vendredi 30 mars. ━ Après Saint-Dizier, Vitry-le-François, Châlons-sur-Marne, où grouillent des soldats russes, nous atteignons au soir Épernay.
Le débarquement dure 3 heures. Cuisines roulantes, voitures régimentaires, ambulances sont poussées à bras sur le trottoir.
Dans la nuit les compagnies s’installent à Pierry, à 1 kilomètre d’ Épernay.
Samedi 31 mars. ━ Repos pour installations.
Pierry est un village coquet, propre et bien ordonné.
Vignobles champenois aux alentours.
Tout le 2e Corps est massé dans la région. D’autres corps d’armée nous ont précédé.
La grande offensive Nivelle annoncée depuis 2 mois se fera donc dans la région de l’Aisne. Nous appartenons à la 10e Armée. Armée de poursuite destinée à exploiter les premiers succès.
À la vue des nombreuses divisions concentrées dans cette région, une confiance générale règne dans la troupe.
Ordre de ne pas quitter les cantonnements. Cependant la ville est proche, la tentation est forte.
Avec Coutant je me rends à Épernay. Les issues de la Ville sont gardées par des postes de police. À travers champs et jardins nous atteignons sans incidents le centre de la ville. Comble de la malchance ! Dans une pâtisserie où nous faisions des emplettes, le général Nayral de Bourgon entre et nous interpelle :
━ Quelle unité ?
━ D. D., mon général.
━ Rentrez immédiatement !
Et rapidement nous décampons.
Le lendemain, au rapport, l’incident est signalé par une note du général. Il n’y a pas eu de suite.
Jusqu’au 9 avril nous restons sur pied d’alerte.
Cependant pu faire encore une escapade rapide à Épernay pour y faire quelques achats.
Mardi 10 avril. ━ Le D. D. quitte Pierry au matin.
Le capitaine Bonetti, de Bordeaux, dépêche au devant le lieutenant Bailly et 19 hommes pour préparer le cantonnement. Je suis du détachement. Départ a 3 heures du matin. Traversons Épernay endormi, puis Damery et arrivons à Reuil à 8 heures après 17 km. de marche. Nous répartissons les locaux disponibles entre les 4 compagnies.
Dans la journée le D. D. nous a rejoint et je prends la garde au poste de police de 5 heures du soir à minuit. Belle nuit. Des troupes et des convois n’ont pas cessé de passer en direction du Nord.
Mercredi 11 avril. ━ Repos.
Passons la journée sur le bord de la route à regarder le torrent humain qui monte vers le Nord. C’est le flot de l’armée de la délivrance qui défile en cadence, entraînée par le son des clairons guerriers.
Jeudi l2 avril. ━ Départ à 8 heures.
Suivons le 77e R. I. du 9e Corps. Vitesse de marche : 2 km. à l’heure. Les unités s’emboîtent dans cette armée en marche. Encombrements. Derrière nous le 66e R. I. nous suit. C’est une colonne de 15 à 20 km. qui s’étend sur la même route. Même fourmillement sur les routes parallèles.
Une marée humaine monte lentement vers les lignes.
Le moral des hommes est grand. C’est même de l’enthousiasme, on plaisante, on s’interpelle dans toutes les sections.
Ça va être la percée. Le Boche va recevoir une avalanche sur le dos. C’est la fin de la guerre pour cette année.