LDE carnet de route p.10 1917
Pendant mon absence, le D. D. est monté trois fois à l’arrière des lignes pour y faire travaux de défense.
La température s’est adoucie.
Mercredi 28 février. ━ À 5 heures du matin, le D. D. quitte Deuxville et par étapes revient à Maron, même itinéraire qu’à l’aller.
À Saint-Nicolas-de-Port, défilé devant le général Nayral de Bourgon. Malgré la fatigue de l’étape, les jarrets se raidissent et les souliers cloutés martèlent nerveusement le pavé au rythme de la musique du régiment.
Grande halte à Azelot, soupe. Encore une heure de marche et nous atteignons Messein où nous cantonnons. Nous avons couvert 30 km. et je suis littéralement fourbu.
Jeudi 1er mars.━ Par une journée radieuse, dans l’air léger et doré qui fouette nos visages tendus, nous entrons dans Maron en défilant.
L’aimable population nous reçoit avec chaleur. Cependant dès notre arrivée, le ciel se couvre et la neige commence à tomber.
Le 3 mars, le reste de la D. I. arrive en camions et s’installe au camp de Bois l’Évêque.
Dimanche 4 mars. ━ Match de football entre l’équipe du D. D. et celle du 51.
Partie très animée et suivie avec chaleur par d’innombrables soldats.
J’y assiste en compagnie de Coutant et du Parisien Crouazier. Ce dernier, emballé par la partie, a perdu le contrôle de ses gestes. Il frappe du pied, court le long de la touche et choote nerveusement dans le vide, mais parfois sur les mollets d’un voisin. C’est une scène vraiment comique. Nous sommes battus par 5 points à 0. Crouazier est désespéré. Nous allons sur les bords du fleuve, calmer son désespoir. Par mégarde je mets le feu à un chaume dont l’herbe sèche flambe comme de l’amadou. Une grande surface de terrain est la proie des flammes. Sans importance.
Mercredi 7 mars. ━ Un détachement de 32 hommes doit être formé pour la surveillance du champs de tir de l’artillerie.
J’en suis. Départ à 3 heures du matin. Touchons un morceau de viande plus deux sardines par homme, pour toute la journée. Après une heure de marche, j’occupe avec Coutant un petit bois, très loin du champ de tir. Consigne : interdire tous passages sur la piste forestière.
Journée humide et fraiche. Nous dressons la tente et allumons du feu. Pas trace de vie dans le pays.
Dans l’après-midi je visite d’énormes fortifications appartenant au camp retranché de Toul.
Pendant mon absence le sergent de ronde est passé et a trouvé Coutant endormi sous la tente. Il a promis un rapport pour nous apprendre le règlement. Le lendemain, rien au rapport. Le sergent est bon bougre.
Samedi 10 mars. ━ Retour à la garde du chemin de tir.
Par punition, le sergent nous place au poste le plus éloigné à 15 km. Journée ensoleillée. Pendant que Coutant veille, je me rends à Bicqueley, village voisin. J’achète quelques gâteaux et retourne au petit poste.
Dans l’après-midi, un cavalier arrive ventre à terre. Ordre de rejoindre Maron. Au village, nous apprenons que la D. I. part pour une destination inconnue.
Dimanche 11 mars. ━ Départ définitif de Maron.
Notre regret est grand et la population est émue. Il y a dans cette vie dure quelques heures de douceur dont le souvenir restera impérissable, et cependant je n’ai pas encore connu les heures tragiques que bon nombre de mes camarades endurent depuis le début de la campagne.